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Les propos raisonnés de Martin Harisson

7 avril 2014
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Les propos raisonnés de Martin Harisson

Le 7 avril 2014

Le premier ouvrage de Martin Harrison consacré à Francis Bacon a été édité en 1999. Depuis, l’auteur est devenu une référence mondiale du peintre anglais. Il a écrit In Camera, publié en 2005 et a produit un essai pour la rétrospective Bacon qui s’est tenue à la Tate Britain, au Museo del Prado de Madrid et au Metropolitan Museum de New York. AMA s’est entretenu avec Martin Harrison à propos de son dernier projet : la rédaction du catalogue raisonné Francis Bacon en quatre volumes. Durant cet entretien, ont été évoqués les enjeux et difficultés qu’impliquent un tel projet et ses ramifications.

Vous êtes le créateur du nouveau catalogue raisonné de Bacon. Comment ce projet est-il apparu ?

La première fois que j’ai écrit sur Francis Bacon, c’était en 1999. Puis la Bacon Estate m’a demandé d’écrire un livre, In Camera, qui a été publié il y a 9 ou 10 ans.
Ensuite, David Sylvester, qui n’était pas encore décédé à l’époque et ne voulait pas se voir confier un tel catalogue il était trop occupé avec Magritte, mais qui était écouté par la fondation a soufflé mon nom comme candidat. Donc, merci David !
Quand j’ai terminé In Camera, je me suis dit que j’aurais besoin de six ans pour réaliser le catalogue. Cet objectif est en quelque sorte dépassé aujourd’hui. Nous avons fait un dernier appel d’œuvres qui sera le dernier afin de débuter le travail d’édition à la fin du mois d’octobre et de faire paraître le livre en mai prochain.

Pour ce projet, vous avez collaboré avec la Bacon Estate. Il y a-t-il eu un autre acteur important ?

Hormis les archives de musées, il n’y a pas de réelle source spécialisée, à part peut-être la galerie Marlborough, qui a représenté l’artiste de 1958 jusqu’à sa mort. Cependant, la fondation a été empêtrée dans un procès avec Marlborough avec le recul, une affreuse affaire qui a été très onéreuse pour les deux parties. Quand j’ai commencé le catalogue, ils n’étaient donc pas très enclins à travailler avec nous. Heureusement, après quelques années, un rapprochement s’est opéré et mon assistante, Rebecca Daniels, et moi-même avons été en mesure d’accéder aux archives de la galerie.

L’un des enjeux de ce projet a été, semble-t-il, le fait que des œuvres auparavant inconnues aient fait surface beaucoup plus que des contraintes de temps et d’information. Avez-vous perdu du temps avec cela ?

Absolument. Je ne peux pas donner une réponse polie à cette question ou répondre autrement que oui, j’ai perdu du temps. Très honnêtement — et c’est une estimation approximative —, j’ai dû perdre près d’un an avec ces bêtises. Le pire est venu, disons d’un groupe d’Italiens nuisibles. Ils déclaraient avoir beaucoup plus de dessins de la main de l’artiste qu’il n’existe de ses peintures.

Il faut s’occuper de cela, et même si l’on me dit souvent « je ne sais pas pourquoi tu t’embêtes avec ça, nous savons tous que ce sont des faux », je dois prendre au sérieux ces demandes. En quelque sorte, je représente Bacon. Il faut prendre chaque demande avec le sérieux qu’elle mérite. Il faut avancer, pour chaque cas, des raisons rationnelles, empiriques et scientifiques afin de prouver que ses personnes ont tort. Sinon, ils restent convaincus qu’ils ont raison.

Le dernier appel d’œuvre n’a pas été très productif — ce que je craignais. Ces appels sont assez couteux à organiser en plus. Cependant, un ou deux conseils très précieux en sont ressortis, ainsi que plusieurs faux ridicules.

Mais dans tout ce marasme, ne peut-il pas émerger une œuvre majeure ? N’y a-t-il pas eu des moments excitants au milieu de tous ces « faux ridicules » ?

Non, rien de bon n’en ressort. Une personne s’est montrée particulièrement furieuse alors que je pensais qu’elle aurait mieux fait de me remercier. J’ai été amené à être passionné — parmi bien d’autres choses  à la peinture néoromantique des années 1930. Une personne avait mal lu les initiales « EB » sur son œuvre et y avait lu « FB », ce qui aurait gonflé la valeur de la peinture de plusieurs millions d’euros. Je leur ai dit que si j’avais été le propriétaire d’une œuvre d’Eugene Berman, j’aurais été très heureux avec. Pourtant, malgré le fait que j’ai donné une attribution à leur tableau, je n’ai reçu qu’une réponse tout à fait impolie.
Ils étaient déçus de ne pas avoir leur Bacon.

Oui, mais cette œuvre de Bergman était tout aussi excitante. Ce n’était pas un travail que j’avais déjà vu ou sur lequel j’avais déjà lu quelque chose. Je la trouvais formidable.

Les travaux de Francis Bacon se vendent pour des millions un triptyque de 1969 s’est récemment vendu pour 142,4 M$ chez Christie’s. Selon vous, pourquoi Bacon est-il toujours si populaire ?

Je ne peux pas répondre pour les collectionneurs ça me semble un peu fou. Je n’ai pas vu d’œuvres du Caravage passer en vente récemment, mais il est presque certain que les œuvres de Bacon atteignent des prix beaucoup plus hauts que n’importe quel artiste du marché. Quand je pense à tout ce qu’il serait possible de faire avec cet argent. J’aime Bacon, mais je ne voudrais pas dépenser de telles sommes malheureusement c’est hypothétique de toute manière !
Quand vous avez publié Points of Reference, votre premier essai sur Bacon, aviez-vous déjà écrit sur l’artiste ? Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ?
Je n’ai rien décidé. On me l’a demandé. J’admirais Bacon, mais je n’ai jamais rêvé d’écrire sur lui. Je me suis juste dit que c’était super et que je serais très heureux d’écrire sur lui.

Aviez-vous déjà un avis sur Bacon, ou votre opinion s’est-elle formée petit à petit pour aboutir sur votre manière propre d’aborder l’artiste ?

Beaucoup plus la seconde option. Je me souviens la première fois que je me suis trouvé confronté à une toile de Bacon  je trouve toujours aujourd’hui que c’est l’une des meilleures. C’était Landscape Near Malabata, Tangier (1963). Ça peut paraître stupide, mais j’étais adolescent, et je me suis dit que c’était l’œuvre d’un génie. C’est l’une des meilleures œuvres d’art de tous les temps, et je commence à peine à comprendre pourquoi. Je ne pense pas que je pourrais l’expliquer maintenant. Je pourrais en parler pendant des heures.

Est-il complexe de traiter une approche picturale par les mots ?

À l’époque, il n’y avait pas le corpus actuel philosophique et historique — construit en parallèle au corpus plus centré sur l’histoire de l’art. Il n’y avait pas tant de littérature sur Bacon, hormis les interviews de Sylvester. Sam Hunter a publié un livre aux États-Unis en 1952, mais à l’époque je n’y avais pas accès. Il y avait également de bons articles de critiques dans les magazines et revues, mais ce n’était finalement pas tant que ça.

Cette faible littérature était-elle stimulante ou intimidante ?

Compte tenu de la pléthore de publications aujourd’hui — on pourrait même dire l’excès je pense que c’était plutôt stimulant. Je n’y ai pas pensé de ce point de vue, mais je pense que la libération viendrait de ne pas avoir toutes les approximations qui sont écrites sur lui actuellement par moi probablement également !

Avez-vous eu le sentiment que tout ce que vous écriviez devait avoir l’assentiment de travaux d’autres critiques ou devait se situer dans le cadre théorique de la critique de Bacon ?

Je pense qu’il serait impossible d’éviter ce sentiment aujourd’hui. Les critiques qui ont écrit sur Bacon David Sylvester et John Russell sont décédés aujourd’hui et personne n’écrit comme ils le faisaient.

Même les écrits de James Elkins un historien de l’art américain qui est selon moi au-dessus de la mêlée ont une sorte de biais idéologique. Et les catalogues de galerie sont limités : il est difficile de dire qu’un artiste est mauvais quand on vous paye plusieurs milliers de dollars pour écrire à son sujet.

Il y a peu de critiques d’art objectifs aujourd’hui. Cependant, il y a énormément de publications qui ne se vendent surement pas et qui ne sont pas bien plus profondes qu’une thèse, mais elles sont publiées et s’ajoutent à la littérature déjà très fournie sur Bacon. Je ne sais pas s’ils apportent des informations importantes.

Quelle a été votre approche du catalogue ? Avez-vous traité les œuvres isolément  ou avez-vous travaillé de manière plus biographique ? Quelles ont été vos sources, aviez-vous conscience d’être un porte-parole de Bacon ?

Mon approche n’est pas biographique, et je ne pense pas que ce soit approprié pour un catalogue raisonné. Bien sûr, Francis Bacon a eu une vie, dont les évènements ont nourri la peinture, une vie qui est inextricable avec son œuvre, ce qui semble assez immédiat — même si les tenants d’une philosophie post-Deleuzienne n’acceptent pas cette idée.

Je ne suis pas si intéressé par les biographies en tant que telles, même si le quatrième volume du catalogue sera composé d’une chronologie assez précise.
Il existe un catalogue raisonné de John Rothenstein et Ronald Alley qui a été publié au milieu de la carrière de Bacon, en 1964. Ce catalogue n’est composé que d’un volume et ne représente même pas la moitié des œuvres de l’artiste, mais il s’est montré néanmoins très pratique. À l’époque, Bacon était encore vivant : ça limitait ce que l’on pouvait écrire à son propos parce qu’il ne le permettait pas ou refusait tout bonnement d’en parler. Cependant, ils s’étaient déjà prêtés au jeu de la chronologie, que nous essayons de considérablement approfondir. Cependant, nous prenons le parti de la factualité. Je ne veux pas l’interprétation de quiconque sur son voyage en Afrique du Sud en janvier 1951 par exemple.

Le catalogue raisonné est une étude très complète d’un l’artiste. Proposez-vous par l’intermédiaire de ce catalogue un mot final sur l’artiste ?

Non pas du tout. Je pense que le sujet ne sera jamais étudié dans sa totalité. J’essaie de produire un travail dont l’introduction est relativement brève, mais qui traite des différents axes d’approche que l’on peut avoir pour Bacon les choses qui doivent être dites et connues à son propos en fait : ses techniques et leurs évolutions, l’influence qu’elles ont eue sur son expression, etc. Cependant, il y aura une partie plus subjective parmi les faits sur les œuvres que sont leur historique d’exposition, leur provenance, leur taille et technique avec quelque un de mes textes parce que ses peintures sont magnifiques et je voulais vraiment dire un mot à ce sujet.

Cependant, maintenant que je vois le bout du tunnel, et que nous avons commencé la mise en page, j’ai réalisé que au-delà de vouloir flatter mon intelligence ou de ce que vont penser les lecteurs de mes textes la plus grande contribution de ce catalogue c’est de réunir toutes les œuvres de Francis Bacon. Contrairement au catalogue de Rothenstein et Alley, toutes les illustrations seront disponibles en pleine page et en couleur, et c’est ça qui va profondément changer la vision que le public a de Bacon.

J’ai réalisé qu’au cours des 20 dernières années, la majorité des essais sur Bacon se sont concentrés sur un total d’environ 150 œuvres, qui ne représentent qu’un quart de sa production. Beaucoup d’œuvres sont restées confidentielles, car elles sont dans des collections privées. Il y en a une grande partie qui n’a jamais été vue ou exposée. C’est l’avantage du catalogue raisonné. Soudainement, les œuvres inconnues, dont la majorité des gens ignore l’existence vont apparaître avec des illustrations en couleur.

Je pense et je ne me donne aucun crédit pour cela que ça va changer la manière à laquelle nous percevons la nature de son œuvre. Et c’est probablement la chose la plus importante qui émerge de ce catalogue. La raison c’est que le catalogue et c’est sa manière d’être revient sur tout ce que Bacon a peint.

Vous avez également était commissaire d’exposition à plusieurs reprises souvent de grandes expositions d’ailleurs. Quand avez-vous commencé cette pratique ? Est-ce après avoir commencé à écrire ?

Quand j’étais plus spécialisé dans la photographie, j’organisais des expositions partout dans le monde, la plupart étaient assez importantes. Pour Bacon, une exposition vient de s’achever au Ashmolean d’Oxford elle voyage jusqu’au Canada en ce moment — et porte sur Bacon et Moore. Les textes que j’ai rédigés portent sur les liens entre Bacon et la sculpture beaucoup plus qu’entre Bacon et Moore. Il est nécessaire que je voie l’artiste dans un contexte plus large, je me sens assez touché par la vogue actuelle pour les oppositions binaires.

L’idée de l’exposition est venue d’une discussion avec Richard Calvocoressi, qui était directeur de la Scottish National Gallery of Modern Art, et qui est devenu directeur de la Henry Moore Foundation pendant la production du catalogue. C’était ce genre de discussion que l’on a autour d’un verre de vin. Richard a dit : «  Oh, nous devrions faire une exposition sur Bacon et Moore et j’ai répondu oui c’est vrai ». C’était aussi intellectuel que ça.

Cependant, en travaillant sur le projet, nous sommes devenus très excités à cette idée. Bien que je pense que les artistes sont plus marqués par leurs différences que par leurs similarités, ils traitaient tous les deux du corps humain. Ça se manifeste de diverses manières, mais je pense que la comparaison est porteuse de sens.
Je n’organise qu’une exposition et je n’ai pas l’ambition d’en faire plus. Elle aura lieu à Monaco en 2016 et a pour ambition d’explorer les liens entre Bacon et la culture française. Bacon était un immense francophile, le pays lui importait plus que n’importe quel lieu au monde. L’exposition au Grand Palais en 1971 a été le moment le plus fort de sa carrière.

Etes-vous intéressé par d’autres artistes ? Quels sont vos projets hormis cette exposition ?

Je n’ai pas forcément terminé de travailler sur Bacon, parce que le catalogue raisonné n’est pas l’unique moyen d’approcher son œuvre. J’écris actuellement sur Jenny Saville et Egon Schiele pour une exposition à la Kunsthalle qui va débuter en octobre. Les deux artistes me passionnent. Le nouveau commissaire d’exposition, Oliver Wick, est venu me voir et j’ai trouvé qu’il était plein d’idées brillantes. Je ne pouvais pas refuser. Ça semblait si intelligent.

Vous pouvez aisément imaginer mon interrogation première : comment va-t-il gérer les petits formats d’Egon Schiele et les grands de Savilles ? Wick était bien sûr conscient de ce problème et avait une solution idéale. J’ai aimé son idée et je suis très heureux de participer à ce projet. Pour être honnête, je me disais que je ne le ferais pas et que j’avais assez de travail.

Les gens pourraient penser qu’il serait bien de me mettre au vert, mais je ne suis pas prêt pour ça. Je viens à peine de commencer.

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