La maladie de la mort, envoûtement durassien – Théâtre de Belleville
La maladie de la mort de Marguerite Duras Mise en scène de de Christelle Derré Chorégraphie d’Odile Azagury Avec Bertrand Farge, Lydie O’Krongley Musique de David Couturier Vidéo et conception multimédia-lumières de Martin Rossi Durée : 1h Tarifs : de 10 à 25 euros Théâtre de Belleville |
Jusqu’au 28 mars 2014
Chorégraphie et musique participent à la grande délicatesse de ce spectacle, où tous les éléments s’imbriquent au texte avec une rare et sensuelle esthétique. Christelle Derré est une jeune metteur en scène dont le Collectif Or Normes affirme une démarche théâtrale intégrant les nouvelles technologies. Créé et très bien reçu à Avignon en 2012, La maladie de la mort est un spectacle multimédia qui trouve un bel écrin au Théâtre de Belleville, avant de poursuivre sans aucun doute son chemin en d’autres scènes. Le texte dense de Marguerite Duras met en scène un homme et une femme dans une chambre d’hôtel. Lui, en quête du sentiment amoureux, impose une relation sexuelle tarifée à une femme pour plusieurs nuits. Elle accepte et se livre sans mesures. Ils répètent au fil des jours leur cérémonial érotique dans une chambre d’hôtel au bord de mer. Christelle Derré a installé la chambre sur une estrade surélevée et vide où la femme nue évolue, danse, se donne et se montre sans mesures, tout en interrogeant parfois son amant de passage dont elle a accepté le pacte. Lui, tel que Marguerite Duras l’a voulu, lit son texte. Il déambule avec régularité, il marche avec entêtement autour de l’espace des corps. De temps à autre, il en franchit la limite et se mêle à la femme, mais sa temporalité demeure décalée, toute entière dans sa lecture en mouvements où le « Je » est au cœur de sa trame narrative. Autour des deux protagonistes de la pièce, la metteur en scène a choisi de faire apparaître deux hommes qui gèrent sous nos yeux l’univers sonore et visuel de la pièce. Ils sont donc eux-mêmes simultanément acteurs et spectateurs, incluant ainsi la dimension de voyeurisme dont ils nous déchargent en partie sans la gommer. Sur un fil La performance de ce spectacle tient à une grande intensité qui se tient sur une zone fine, une puissante sensualité en équilibre subtil sur une bande étroite. Et tout se tient là, menu et fascinant, désespérant et haletant. Le texte est rehaussé dans une clarté envoûtante qui restitue l’univers de Duras à la lettre. Le corps de la femme nue, juste parfois recouverte de sa robe blanche, est offert dans une chorégraphie magnétique d’Odile Azagury. Comme un archétype féminin, une Aphrodite au milieu du bruit des vagues, la comédienne Lydie O’Krongley réussit une performance dans l’érotisme retenu et la sensualité pudique. A travers chacun de ses pas, chacun de ses gestes et chacune de ses figures corporelles enchainées, elle garde une maîtrise du détail, une lenteur méticuleuse qui permet de ne jamais quitter cette part étrange et infinie, ce lieu du corps qui échappe toujours en se donnant sans fin, cette extase charnelle qui ouvre à l’insaisissable sans jamais trouver son terme. Autour d’elle, sobre et vêtu de noir, l’homme est interprété par le comédien Bertrand Farge. Il tient le livre, il marche, il parle. Et à l’inverse de la femme en offrande charnelle, il se donne par les mots et la voix. On ne verra rien de sa peau ni de son corps, juste son visage. Cette opposition harmonieuse où achoppe et s’étire le désir devient quasi-vertigineuse. Il n’y a pourtant sur le plateau aucune passion bruyante aucun cri ni déplacement furieux ni exhibition, pas une once d’indécence, bien au contraire. Suavement, de bout en bout, La maladie de la mort emporte le spectateur dans un monde visuel, pictural et sonore hypnotisant. Cette esthétique nous transporte dans des limites où s’ébattent mortellement et avec raffinement Eros et Thanatos, magnifiés par ces comédiens et leur metteur en scène. Isabelle Bournat
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