La Vénus à la fourrure – drame avec Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner
Dans un théâtre parisien, après une infructueuse journée de casting, un metteur en scène se plaint au téléphone d’avoir gâché sa journée à auditionner des idiotes. Le soir tombant, une retardataire fait irruption dans la pièce, le forçant à l’auditionner à son tour. Mais au-fur-et-à mesure des bouts d’essais, quelque chose d’étrange se produit ; l’actrice qui paraissait vulgaire et inculte semble maîtriser l’intrigue et les sources de la pièce mieux que l’auteur lui-même… Celui-ci se laisse prendre au jeu. Mais finalement, qui donne la réplique, et surtout, qui manipule qui ?
Contrairement à ce que le titre laissait présupposer, Roman Polanski n’adapte pas ici le roman de Leopold Van Sacher-Masoch, La Vénus à la Fourrure, mais un succès de Broadway inspiré par lui. Cette adaptation qui n’en est pas vraiment une repose donc sur un postulat risqué, celui de la mise en abîme. Thomas, le réalisateur aux tendances misogynes incarné par Mathieu Amalric, tente ainsi d’adapter ce même roman de Sacher-Masoch, en proposant une version dans laquelle il dit « avoir mis beaucoup » de lui-même. Le but est évidemment de mettre le huis-clos en perspective par cet effet de miroir. Toutefois, ce seul principe est déjà bancal en lui-même, tant cette idée d’utiliser le théâtre comme métaphore et miroir de la vie en général ou du destin particulier du personnage, est éculée. Il n’y a alors qu’un moyen d’adhérer à ce cliché de départ ; c’est celui de se laisser séduire par le jeu de manipulation et de domination mis en place, qui repose entièrement sur les épaules des acteurs.
Or, Emmanuelle Seigner cabotine dans un rôle de femme ambivalente que Polanski lui-même lui a déjà fait jouer maintes fois avec bien plus de grâce et de talent. L’un des membres du duo d’acteur devenant vite horripilant, le reste tombe rapidement à plat. Une chose demeure pourtant indéniable ; c’est le génie de Mathieu Amalric, qui, comme à son habitude, est totalement grandiose. L’expressivité de son visage, du moindre de ses gestes, de ses intonations est telle que l’écran s’imprègne de toutes les émotions qui traversent son personnage à chaque moment, chaque réplique, chaque regard. Le film vaut alors surtout pour le plaisir d’admirer cette extraordinaire performance d’acteur, à n’en pas douter l’un des plus grands du cinéma français contemporain.
Dommage donc que le film ne soit pas à la hauteur de l’acteur, car non seulement il repose sur un cliché, mais en plus il est fondamentalement hypocrite. On verra ainsi, à de nombreuses reprises, le personnage d’Emmanuelle Seigner s’insurger contre le discours de fond du roman de Sacher-Masoch et a fortiori de la pièce qui en est adaptée, en en dénonçant le sexisme et la misogynie. Dans une véhémente diatribe qui ne manque pas de pertinence, le personnage de Thomas, le metteur-en-scène si magistralement interprété par Mathieu Amalric, lui objectera cette tendance contemporaine à projeter des problèmes sociaux sur tout et n’importe quoi, au point de détourner toute œuvre de son statut d’œuvre en soi. C’est un discours intéressant et non dénué de fondement : dans quelle mesure le discours sur l’œuvre constitue-t-il un fantasme de l’œuvre ? C’est là en effet une question qui mérite d’être posée, dans une société qui décortique de plus en plus les faits et phénomènes de son quotidien ; l’essentiel comme l’anodin ; la politique aussi bien que les modes en vogue sur les réseaux sociaux. Mais dans ce cas précis, le procédé paraît vraiment malhonnête, dans la mesure où le discours sur le sexisme qu’il décrit comme fantasmé, est filé à travers tout le récit, pour aboutir sur une conclusion qui se voudrait anti-machiste et n’en est elle-même que plus sexiste. Dans un final mêlant l’irritant et le ridicule, un sexe prend en effet sa revanche sur l’autre, ce qui ne saurait passer pour une idée progressiste ; il s’agit de la sempiternelle réaffirmation de la croyance en une guerre des sexes, qui par définition est anti-égalitaire. Une façon assez peu élégante de se dédouaner sur le spectateur d’un propos mal assumé et éminemment contestable.
Raphaëlle Chargois
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Les Lumières du cinéma 2014 (20 janvier)
- 1 prix : Meilleur scénario
Paris Cinéma 2013 (du 28 juin au 9 juillet)
- Avant-premières
Festival de Cannes 2013 (du 15 au 26 mai)
La Vénus à la fourrure
De Roman Polanski
Avec Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner
Durée : 96 min.
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