Open Space
Faisons taire les employés de bureau ou tout au moins ne nous intéressons pas à ce qu’ils ont à se dire. Regardons-les plutôt s’agiter sur leur lieu de travail, répéter les mêmes gestes, babiller sans cesse pour ne pas dire grand-chose. Et surtout écoutons-les. Dans cet espace ouvert devenu une grande mode dans le monde de l’entreprise des années 90 et dont nous avons emprunté le terme à l’anglais, l’usinage s’est immiscé là où il n’avait cours que sur les chaînes de montage autrefois. Six personnages, six profils totalement différents, aéropage du monde du travail dans le secteur tertiaire. Le doyen de la boite, la petite jolie mais complexée, le bellâtre ambitieux, la pinup aux rondeurs prometteuses et talons hauts, l’employé modèle et la femme d’affaire qui planque ses fioles d’alcool un peu partout…
Mathilda May, qui est à l’origine de ce spectacle (écriture, mise en scène, composition des musiques), a créé un monde, un microcosme où règnent l’incommunicabilité assourdissante, apanage du monde du travail d’aujourd’hui. En isolant le spectateur de cette bulle par des dialogues incompréhensibles, sorte de logorrhée verbale faite d’onomatopées et bribes de mots, elle l’invite mieux encore à une observation constante et sollicite ses sens. Si les mots sémantiquement nous échappent, leurs sons ainsi que tous ceux qui habitent un tel espace nous happent en permanence. Les talons aiguilles sur le sol, les sonneries de téléphones, les claviers d’ordinateurs, la machine à café, les rires (tous différents bien sûr)…
L’énorme travail que suppose une telle maîtrise de tous les éléments, chorégraphies, montage sonore, déplacements, gestuelles va se faire oublier et conférer à l’ensemble sa parfaite tenue. On pense à Jacques Tati, bien sûr auquel Mathilda May lance plus qu’un simple clin d’œil : un véritable hommage. Le cinéaste aux seulement six longs métrages, génial démiurge dont le travail sur le son notamment demeure aujourd’hui encore une référence absolue est omniprésent dans l’esprit des spectateurs. Avec le même soin accordé à l’environnement sonore mais aussi aux décors, aux costumes à la créativité dans le gag, Mathilda May réussit un magistral coup de théâtre qui s’annonce comme un des gros événements de cette rentrée.
Franck Bortelle
Open Space
Conception et mise en scène de Mathilda May
Avec Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Xavier Chavari, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Elion, Emmanuel Jeantet et Dédeine Volk-Leonovitch
Collaboration artistique : Jean-François Auguste
Musique : Nicolas Montazaud et Mathilda May
Scénographie : Alain Lagarde
Lumières : Roberto Venturi
Costumes : Valérie Adda
En tournée à partir de mars 2014 dans toute la France
Durée : 1h30
[Crédits photographiques : ©DanAucante]
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