Cyrano de Bergerac – Odéon Théâtre de l’Europe
Dominique Pitoiset, dans son travail, s’est souvent fondé sur une dramaturgie du corps souffrant, capturé dans la cage de scène comme en une boîte d’entomologiste : on n’a pas oublié à l’Odéon le Prospero aveugle de sa Tempête, et le Willy Loman de sa Mort d’un commis voyageur revivait toute la pièce dont il est le protagoniste en un seul long flash-back où se déchaînait sa confusion mentale. Son Cyrano relève de la même vision. Enfermé dans un asile, il porte dès les premières minutes la plaie à la tête qu’il ne reçoit d’ordinaire qu’au dernier acte. Toute l’intrigue n’est peut-être que le délire d’un homme seul, une histoire qu’il parvient à faire partager comme un jeu à ses camarades de détention, pour faire naître un peu de beauté dans leur existence affreuse. Pitoiset est parti de l’intuition que Cyrano voulait être ce qu’il est, ne cessait jamais de se hisser, de gageure en gageure, à la hauteur de l’identité qu’il s’était rêvée. Il est en somme le premier à se prendre pour Cyrano. Et il fait tout pour en persuader le reste du monde, qui finalement ne demande pas mieux : c’est tellement distrayant, et même pratique, de côtoyer un gaillard assez fou pour défier les puissants et se battre au besoin à un contre «oh ! pas tout à fait cent»… Au fond, si le nez de ce Cyrano-là n’existait pas, il l’aurait inventé, cet accessoire indispensable à la construction de son idéal de soi, cet appendice obscène bien fait pour l’astreindre à tenir sans jamais faiblir son rôle de provocateur paranoïaque, contraint de surmonter à force d’esprit l’horreur du corps. Et ça marche : ce Cyrano qui se bâtit ainsi sous nos yeux, nous l’accompagnons, nous y croyons, nous nous laissons conquérir, emportés par sa force et sa poésie.
Décidément, Cyrano ne sera plus jamais comme avant. Pitoiset a largement gagné son pari – et avec lui Philippe Torreton, qui tient là l’un de ses plus grands rôles.
Cyrano de Bergerac
De Edmond Rostand
Mise en scène de Dominique Pitoiset
Avec Jean-Michel Balthazar, Adrien Cauchetier, Nicolas Chupin, Patrice Costa, Gilles Fisseau, Jean-François Lapalus, Daniel Martin, Bruno Ouzeau, Philippe Torreton, Martine Vandeville, Maud Wyler
Du 07 mai 2014 au 28 juin 2014
Du lundi au samedi à 20h
Le dimanche à 15h
Durée : 2h30
Tarifs : de 6€ à 36€
Théâtre de l’Odéon
2, Rue Corneille
75006 Paris
M°Odéon
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