Nana Mouskouri – Théâtre du Châtelet
Ioanna, surnommée « Nana » par ses amis débute au sein d’un quartette de jazz appelé, avec une originalité qui laisse pantois, les Athéniens. Le quartette se rode en se confrontant au public, parfois difficile, des bars d’Athènes, et c’est à l’occasion d’une de leurs prestations que le producteur et compositeur Manos Hadjidakis repère la jeune femme à la voix particulière. Prenant Nana Mouskouri sous son aile, Hadjidakis en fait l’égérie astigmate et myope du tout-Athènes, présentant sa découverte aux cercles intellectuels de la capitale grecque. C’est à l’occasion de soirées organisées par le compositeur que Mouskouri rencontre sa quasi-homonyme, Melina Mercouri, actrice et chanteuse en vue, épouse du réalisateur Julius Dassin et belle-mère du futur Joe Dassin. En 1959, sort le premier 45-tours de Nana Mouskouri : « Kapou Yparhi i Agapi Mou ».
Sous l’égide d’Hadjidakis et de Dassin, Nana contribue à l’écriture de « L’enfant du Pirée » pour Melina Mercouri, qui deviendra la chanson-phare de la bande originale de Jamais le dimanche, réalisé par le metteur en scène américain. La victoire à radio-crochet, quelques mois plus tard, permet aux Athéniens de sortir de leur enclave de la capitale pour devenir un groupe connu à travers toute la Grèce, multipliant dates, concerts et galas. Déjà à l’époque, les grosses lunettes et l’apparence de jeune fille sage (pour ne pas dire un peu coincée) de Nana Mouskouri contribuent énormément à l’imagerie du groupe. Coachée avec intelligence par Manos Hadjidakis, Nana Mouskouri devient très rapidement une vedette à travers toute la Grèce. Quittant les Athéniens en 1960 pour évoluer seule, elle est réclamée lors de nombreuses cérémonies officielles par le premier ministre Constantin Caramanlis, fan de la première heure.
Ainsi, elle se produira à l’occasion de la visite officielle de divers happy fewcomme Robert Kennedy, le futur roi Juan Carlos d’Espagne ou Aristote Onassis. Devenue fierté nationale par la grâce de Caramanlis, Nana Mouskouri représente à elle seule une part importante des exportations grecques de l’époque. S’imposant à divers concours de chants internationaux, Nana Mouskouri devient presque officiellement ambassadrice de prestige de son pays à l’étranger : ses apparitions sur les scènes européennes ou américaines sont autant d’occasion de rappeler que la culture grecque existe toujours et qu’elle se porte au mieux. Ainsi, il n’est pas rare que Mouskouri interprète devant des parterres impressionnés les œuvres du célèbre poète hellène Nikos Gastos. Elle trouvera également en Maria Callas une source de bons conseils pour sa carrière future.
Paris-New York
C’est en 1960 qu’elle décide de quitter provisoirement son pays pour s’installer en France ou la maison de disques Philips, lui offre un pont d’or pour rejoindre son écurie. Installée aux frais de Philippe Weill, directeur artistique de Philips, elle mène la grande vie dans la capitale parisienne, découvre le patrimoine musical français, notamment Edith Piaf, qui la bouleverse, et Jacques Brel avec qui elle se lie d’amitié, au point de remuer ciel et terre pour le faire connaître au public grec. Cette période voit Nana enregistrer de nombreux titres, aussi bien en grec qu’en français (dont elle apprend les paroles en phonétique), anglais ou italien. Si ses premiers disques ne rencontrent qu’un succès d’estime, la critique, elle, est unanime pour saluer les performances de cette jeune grecque qui chante en robe blanche virginale et à qui toutes les pythies de l’industrie du disque prédisent un grand avenir.
« La montagne de l’amour », « Le petit tramway », « Ton adieu » ou « Retour à Napoli » sont autant de titres qu’elle interprète en dehors de sa langue maternelle pour conquérir le public français et européen. Mais Philippe Weill, lui, vise clairement une audience anglo-saxonne, estimant que l’Europe est trop petite pour contenir tout le potentiel de Nana Mouskouri. À l’image de nombreux artistes en quête de reconnaissance internationale, la jeune femme débarque donc à New York en 1962, afin de tenter de séduire le public américain, sous la houlette d’Irving Green et de Quincy Jones, les deux plus grands faiseurs de stars made in USA de leur époque. Elle qui aime tant le jazz pourra ainsi en côtoyer en chair et en os les grands noms, comme Miles Davis, Dizzy Gillespie, Louis Armstrong ou Shelby Singleton, avec qui elle enregistre un duo. Son premier album en anglais, The Girl From Greece Sings (« La fille venue de Grèce chante » : difficile de faire plus clair et plus démonstratif) rencontre un succès mitigé, mais permet au moins à la jeune grecque un peu boulotte de devenir autre chose qu’une parfaite inconnue auprès du public américain.
L’Olympia après l’Olympie
Retour en France. Nana Mouskouri se produit sur de « grandes » scènes comme l’Olympia. Si ses débuts sont un peu chaotiques (la chanteuse n’est guère habituée à un public parisien un peu turbulent), elle prend le pli avec le temps et ceux qui, à ses débuts, la voyaient uniquement comme une jeune femme timide, prennent conscience qu’elle est parfaitement capable d’hypnotiser une salle pleine après quelques mois d’expérience. Georges Brassens, Jacques Brel, Guy Béart, Gilbert Bécaud, Mouloudji… sont autant d’artistes dont elle fait la première partie ou qui l’inviteront lors de leurs tours de chants. Refusant de céder aux caprices de son nouveau manager qui aimerait la rendre plus « sexy », Nana Mouskouri, si elle accepte de suivre un sérieux régime, oppose une fin de non recevoir à la sollicitation de porter des lentilles de contact en lieu et place de ses célèbres lunettes. Une « star binoclarde », ça ne s’était pas vu depuis Buddy Holly et c’est aussi ce genre de détail qui contribue à la rendre sympathique auprès du public.
Sollicitée par le Luxembourg pour représenter le Grand-Duché au concours de l’Eurovision en 1963, elle n’arrive qu’en huitième position, ce qui n’empêche pas « A force de prier », titre co-écrit par Pierre Delanoë, de marcher correctement au format 45-tours, que ce soit en français, italien, allemand ou anglais, une version dans chaque langue ayant été enregistrée. Mais ce relatif camouflet artistique la persuade de prendre un peu de champ avec le public et le répertoire francophone. C’est désormais en Grande-Bretagne qu’elle évolue, au sein d’une émission de la BBC conçue spécialement pour elle : Nana With Guests. Mais les impératifs de tournage ne l’empêchent pas de regagner régulièrement Paris avec son mari, Georges Petsilas, chanteur des Athéniens, dont le groupe continue sa carrière de son côté.
Toujours présente sur scène et en studio, Nana Mouskouri se voit décerner, en 1963, le grand prix du disque pour l’album Mes Plus Belles Chansons Grecques. Cette même année, au sein d’un collectif d’artistes regroupés par l’UNESCO pour les besoins d’un disque caritatif, elle interprète « Ximeroni », aux côtés de Maurice Chevalier, Bing Crosby, Edith Piaf ou Louis Armstrong. Indéniablement, Mouskouri est entrée dans la cour des grands et fait désormais jeu égal avec les plus grandes voix de son temps. Un statut qui lui permet de balayer d’un revers de main certaines propositions loufoques de son manager, qui lui demande de chanter du yéyé pour coller à la réalité de l’actualité musicale…
Quand elle chante, quand elle chante… quand elle chante Nana
Pas bégueule, Nana Mouskouri est de tous les concerts qui lui sont proposés, que ce soit lors de grandes tournées au Canada et aux Etats-Unis avec Harry Belafonte, au Marathon de la Chanson, en compagnie de Charles Aznavour ou à la Courneuve pour les besoins de la Fête de l’Huma. Très active pendant la deuxième moitié des années soixante, Nana Mouskouri multiplie les projets aux quatre coins du monde et s’adapte à son public : si, pour l’auditoire américain, elle reste la Grecque qui chante son pays natal sur fond de jazz, il est difficile de trouver plus Française en France, plus Italienne en Italie et plus British au Royaume-Uni.
« L’enfant au tambour », en 1965 est enfin LE titre qui lui vaut la reconnaissance populaire française qui lui manquait tant, succès bientôt suivi par « Le tournesol », « Quand tu chantes » ou un « Alléluia », plus gospel, dans les années qui suivent. Encore une fois, tous ces titres sont aussitôt déclinés en autant de versions allemandes, anglaises, italiennes et japonaises, le public d’Extrême-Orient commençant à s’intéresser à Nana Mouskouri. Bien que moins présente dans les médias, Nana Mouskouri traverse les années 1970 en multipliant les tournées à travers le monde, les concerts et les récompenses. À l’image de celles qu’elle admire, Ella Fitzgerald ou Maria Callas, Nana Mouskouri est désormais reconnue pour ce qu’elle est : une diva de stature mondiale.
En 1980, elle signe un autre de ses grands tubes mondiaux, « Je chante avec toi liberté » (adaptation du « Chœur des Hébreux » de l’opéra Nabuccode Verdi), qui recevra maints prix et récompenses. Ce n’est qu’en 1984 qu’elle revient à nouveau offrir un récital à son pays d’origine, la Grèce, se produisant au pied des marches de l’Acropole devant un public innombrable venu faire un baroud d’honneur à l’enfant du pays – et surtout sa meilleure ambassadrice – qui n’était plus revenu sur le sol natal depuis plus de vingt ans.
Hellène, elle s’appelle Hellène
Toujours à contre-courant des modes, c’est en revisitant le patrimoine de l’opéra qu’elle clôt les années 1980. Haendel, Albinoni ou Bellini sont autant de compositeurs dont Nana Mouskouri se réapproprie – avec respect – le patrimoine pour les besoins d’un album consacré au répertoire classique en 1988. Si le grand public adhère, les amateurs d’opéra, se montrent un peu sceptiques, pour ne pas dire chichiteux devant cette chanteuse de « variété » qui ose s’attaquer aux « grandes partitions ». Le gospel, qu’elle avait déjà abordé avec Alléluia (1977) constitue une autre exploration d’un univers musical dans lequel on ne l’attendait pas. Mais sa voix se prête parfaitement à l’exercice et Nana Mouskouri, encore une fois, ne détonne pas dans le chœur des chanteuses gospel qui l’accompagnent sur scène pour les tournées suivant la sortie de l’album Couleur Gospel en 1990.
Sollicitée par l’UNICEF pour devenir ambassadrice de bonne volonté, elle prend ses fonctions en 1993, pendant la guerre en ex-Yougoslavie, et entame plusieurs galas et séries de tournées pour collecter des fonds à destination des réfugiés. Plus surprenant, elle réussit à être élue en 1994 en Grèce sur la liste d’une coalition de droite et fait son entrée au Parlement Européen où elle siège dans les rangs du Parti Populaire Européen (droite chrétienne et conservatrice). Un engagement qui surprend – et fait même ricaner au début – mais la chanteuse se montre une parlementaire largement plus exemplaire et assidue que certains professionnels bruxellois.
La même année sort Dix Mille Ans Encore, un album comportant de nombreux duos (de Graeme Allwright à Roch Voisine) et son activité politique ne semble pas l’empêcher de continuer son métier de chanteuse, en dépit d’un coup de frein bien compréhensible à sa carrière artistique, et de profiter des pauses entre les sessions du Parlement européen pour reprendre le chemin des galas et des tournées internationales. Amérique du Nord, Amérique latine, Asie, Europe : Nana Mouskouri continue à remplir et à émouvoir des salles entières.
Éternels adieux
Si elle ne renouvelle pas son mandat, la chanteuse renouvelle ses premières expériences jazzy en réinterprétant une série des classiques du genre en 2002. Hommage aux artistes qu’elle a connu à ses débuts, de Dizzy Gillespie à Ella Fitzgerald, ce revival sous le signe du boogie made in New Orleans surprend des fans qui ne l’attendaient pas sur ce terrain. Remariée en 2003 avec son nouveau producteur, André Chapelle, elle accepte à nouveau de répondre positivement à une nouvelle sollicitation de l’UNICEF en tant qu’ambassadrice bénévole.
Les tournées mondiales succèdent aux tournées mondiales, les titres aux titres, les albums aux albums et Nana Mouskouri ne semble ni vieillie ni disposée à arrêter une carrière toujours florissante depuis 1959. Cependant, en 2007, sa tournée d’adieux aux quatre coins de la planète semble indiquer que la chanteuse est décidée à prendre une retraite bien méritée. Le public est au rendez-vous et, à l’image des divas entamant leur tournée d’adieux, Nana Mouskouri se produit sur toutes les scènes ayant représenté les grands moments de sa carrière. Il faut cependant croire que cette tournée n’était pas assez émouvante à ses yeux puisque 2008, la voit reprendre ses valises pour un nouveau tour à travers le monde. S’il est des adieux qu’on aime expédier, ce n’est clairement pas le cas de ceux de Nana Mouskouri qui semble les repousser aux calendes grecques.
Et à l’occasion de ses 80 ans, Nana Mouskouri sera à nouveau en tournée mondiale qui débutera le 14 octobre 2013 pour se terminer le jour de ses 80 ans le 13 octobre 2014.
Nana Mouskouri figure actuellement dans la liste des vingt-cinq artistes ayant vendu le plus de disques dans le monde, devançant Madonna et Céline Dion avec un chiffre estimé à 400 millions de ventes.
Nana Mouskouri – Théâtre du Châtelet
Les 10 et 11 mars 2014 à 20h
Théâtre du Châtelet
2, rue Edouard Colonne
75001 Paris
M°Châtelet sortie Théâtre du Châtelet ou Place du Châtelet
www.chatelet-theatre.com
© 2008 Music Story – Benjamin D’Alguerre
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