Isaac Cordal : « L’art devrait être le miroir de la société »
Isaac Cordal : « L’art devrait être le miroir de la société » |
Il loge ses petites créatures de béton dans les interstices des villes : la fissure d’un mur, la faille d’un trottoir, une flaque d’eau. A l’instar d’un Slinkachu ou d’un Pablo Delgado, l’Espagnol Isaac Cordal invente une scénographie du minuscule, poétique et parfois inquiétante. Car ses personnages en costume, qui brandissent attaché-case et téléphones portables, semblent courir tout droit à des catastrophes (noyades, disparitions en tout genre) qui sont autant de symptômes d’une époque en crise. Ses explications.
Vous êtes passé par les Beaux Arts ? J’ai étudié la sculpture dans plusieurs écoles. C’est presque par accident que j’ai commencé à faire du street art, parce que camoufler mes sculptures dans le paysage urbain m’intéressait. Et puisque mes sculptures sont en ciment, qui est l’empreinte de l’homme contre la nature, la ville est leur habitat naturel. Pourquoi jouer sur les échelles ? Utiliser une très petite échelle, c’était faire de la ville un immense prétexte à scénario, un décor. J’avais aussi besoin de créer quelque chose de petit, que je pouvais facilement transporter dans un sac à dos et qui me permette de me déplacer. Mes sculptures sont devenues de plus en plus petites, j’imagine donc que la prochaine étape, c’est leur disparition… Vous aimez mettre en scène les catastrophes… Pourquoi ? Mais je réfléchis à ce qui nous entoure, et hélas, beaucoup des choses qui surviennent ne sont pas très agréables ! C’est une réflexion sur le progrès et ses effets secondaires dans notre société. Le progrès a été globalisé au bénéfice de quelques-uns, le temps s’est accéléré, comme si la diversité des cultures devait s’effondrer au même rythme que les marchés financiers… J’espère qu’un changement va subvenir, et humblement, à travers mon travail, c’est ce que je demande. Vous avez le sentiment de commenter l’époque – la crise, par exemple ? L’art devrait être le miroir de la société. Le grand problème, c’est que c’est un miroir sur lequel peu de gens sont prêts à réfléchir. Mon travail se veut une réflexion sur notre modèle de vie. Cela m’intéresse de travailler sur différents problèmes liés aux valeurs actuelles, et à la façon dont les plus défavorisés sont frappés brutalement par la crise. Nous vivons une époque de crise, ce qui arrive quand l’ancien régime ne veut pas mourir mais que le nouveau n’est pas capable de s’imposer. Vous avez aussi investi des espaces naturels, comme la plage, dans le projet « Waiting for the Climate Change »… Cela modifie votre approche des lieux ? J’aime les deux types d’espace, urbain et naturel, pour moi ce qui change, ce sont moins les moyens que j’emploie que le sens du projet. Celui dont vous parlez avait été créé pour « Beaufort04 », un évènement sur la cote belge. J’avais fait une série de sculptures érigées sur des poteaux face à la mer. Cette installation représentait des personnages au bord d’un désastre possible mais complètement absorbés par leurs Smartphones. Il s’agissait de mettre en scène à la fois les paranoïas et les peurs alimentées par les médias et notre manque de conscience des problèmes environnementaux planétaires. Le street art, c’est un activisme ? Pour beaucoup, ce n’est pas le cas. Mais moi, oui, j’aime considérer le street art comme une forme de combat. Cela me plait d’y voir un dialogue entre un lieu et ses habitants, entre la société et ses leaders… Au-delà de cette dimension politique, vos personnages sont une façon d’explorer la condition humaine ? Ils sont aussi petits que l’univers lui-même. Avant, nous bâtissions d’immenses monuments pour nous mesurer aux dieux. Mais avec toutes ces statues équestres qui habitent les parcs il faut bien réduire l’échelle ! Il y a une forme d’humour mélancolique dans votre travail… J’essaye d’utiliser l’ironie, mais il ne s’agit jamais d’une plaisanterie. L’humour est une façon d’habiller le drame. Je pense que nous avons besoin chaque jour d’une overdose d’humour pour survivre. Vous avez aussi sculpté des ombres, en photographiant celles que projetaient des passoires dont vous aviez fait des visages… C’est un vieux projet qui remonte à 2001, lors de ma première exposition solo. J’étais fasciné par ces ombres qu’on peut créer avec un simple objet en métal. Je voulais imiter les images en 3d des ordinateurs mais de la façon la plus simple possible, sans technologie. Les photographies sont une trace, ou bien une œuvre en elles-mêmes ? Au début, ce n’était pour moi qu’une façon de documenter mon travail. Mais petit à petit, c’est devenu un aboutissement en soi. Qui admirez-vous ? Dans les rues, j’aime ce que font Blu, Escif, Liqen, Brad Downey, entre autres. En dehors du street art, je n’ai pas d’artiste favori mais j’admire Maurizio Cattelan, Anthony Gormley, Ron Mueck, Medardo Rosso, les frères Chapman… Que représentent les galeries, pour vous ? Je m’efforce d’y montrer le travail que je fais dehors, sans pour autant transformer la galerie en simulacre de la rue. C’est aussi l’occasion de montrer d’autres types de travaux, que je ne pourrais pas mettre en œuvre dans la rue faute de temps ou de moyens. Et vos prochains projets ? J’ai des expositions et des voyages en prévision. J’espère que nous verrons tous le printemps une fois encore… Propos recueillis par Sophie Pujas Le site de l’artiste : www.isaac.alg-a.org
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