Est ou ouest, procès d’intention – Théâtre de l’Epée de Bois
Marina Krausse a eu l’idée aussi saugrenue qu’hérétique d’aller voir si l’herbe était plus verte chez les voisins. Sauf que des voisins en question, elle est séparée par un mur. LE Mur, celui de la Honte comme l’ont appelé les historiens occidentaux. La tête pleine de rêve, elle s’est donc retrouvée en territoire capitaliste où profusion rime avec consommation. Et aussi avec exploitation. Celle de l’homme par l’homme. Telle la cigale, elle a rapidement déchanté et est revenue vivre parmi les siens, lesquels l’attendaient au virage… Son procès s’ouvre tel un show de cabaret. Peu après, le Mur de Berlin tombe. Les années passent. Les bourreaux de Marina ont-ils succombé à l’appel du grand capital ?
Tout le spectacle suit la dichotomie du titre, tant dans sa construction que dans la manière d’aborder le propos. La première partie se déroule sur le modèle du théâtre d’Agitprop, forme d’expression scénique apparue au lendemain de la révolution bolchevique de 1917 et qui se développa en URSS et Allemagne dans un dessein d’édification du socialisme et avec pour principe la compréhension pour tous. Autrement dit le geste prime sur le texte. La seconde partie, une fois l’action transportée de nos jours, prend l’allure d’un talk show télévisé, avec les mêmes personnages. La télévision d’aujourd’hui héritière naturelle de la propagande d’hier ? La question reste posée…
Ce n’est pas la seule. L’ensemble de ce spectacle bien frappé nous invite au questionnement. Invitation appuyée par l’interactivité comme mot d’ordre (et de quelle manière !). Les réponses nous appartiennent et il ne sera jamais question de prendre le spectateur par la main pour l’orienter. D’ailleurs qui peut apporter une réponse à une question qui met en balance le bilan du communisme soviétique et celui du capitalisme d’aujourd’hui ? Face à face puis dos à dos, ni les « ostalgiques » (ceux qui ont la nostalgie de l’ « Ost », « Est » en allemand) ni les nouveaux capitalistes n’ont la solution. Chacun campe donc sur ses idéaux en dézinguant les principes du camp adverse.
Cette forme d’objectivité qui baigne ce spectacle va en effet prendre souche dans un démontage systématique des parties en présence. Politiquement très incorrect donc, rien ne trouvant grâce aux yeux de personne, le propos insinue la nécessité impérieuse d’un nouvel ordre mondial. Mais comme tout cela se pare des atours du show, du cabaret, l’ensemble s’avère délicieusement récréatif. Occupant l’espace scénique de manière tridimensionnelle, les comédiens, que l’on s’étonne de ne voir qu’au nombre de quatre au moment des saluts, s’emparent de ce sujet avec une joie communicative. Les numéros d’acrobatie que livrent deux d’entres eux sont proprement renversants et s’insèrent à merveille dans l’ensemble du dispositif scénique, conférant une grâce à ce spectacle qui ne manque par ailleurs ni d’humour, ni d’aplomb et encore moins de force politique. Un OVNI théâtral !
Franck Bortelle
Est ou Ouest, procès d’intention
De Philippe Fenwick
Adaptation et décors : Hugues Hollenstein et Grit Krausse
Avec Hugues Hollenstein, Grit Krausse, Philippe Fenwick, Max Morallès ou Valo Hollenstein
Création sonore : Sébastien Rouiller // Création lumière : Philippe Guiton
Régie son : Frédéric Duzan // Régie lumière : Nicolas Mignet
Jusqu’au 23 décembre 2012
Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 18h
Tarif unique de 10€ tous les mardis // Plein tarif : 18€ // Séniors et moins de 30 ans : 14€ // Demandeurs d’emploi et étudiants : 12€ // Scolaires et groupes (plus de 10 personnes) : 10€ // Enfants de moins de 12 ans : 7€
Durée : 1h15
Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie de Vincennes
75012 Paris
M° Château de Vincennes
[Photographie : Est ou Ouest 2. ©Bernard Duret]
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