Alëxone Dizac – interview
Toutes ces toiles en cours, c’est votre manière habituelle de procéder ?
Oui, je travaille toujours sur plusieurs œuvres en parallèle ! Au départ, je me laisse aller, puis je reviens sur des détails… Je repasse sur ce que je fais, je recouvre, c’est ce qui me reste du graffiti — je viens de là, et j’aime que cette histoire soit présente. Je ne fais pas de longs croquis préparatoires, je travaille beaucoup à l’instinct. Jusqu’au moment où la toile est terminée, selon une alchimie que moi-même je ne peux pas expliquer, mais qui est très claire au moment où elle se produit…
Comment avez-vous découvert le graffiti ?
Grâce à mon professeur d’arts plastiques de collège, en 1988, qui nous avait mis à disposition des livres sur les graffitis à New York. Cela m’a parlé. Au début, je griffonnais dans mes cahiers, je n’imaginais même pas prendre une bombe ! Mais c’est comme ça que j’ai découvert le dessin. J’ai grandi en banlieue, je n’avais pas d’accès à l’art, ma famille n’allait pas dans les musées ni les galeries. Peu à peu, j’ai mis de la couleur dans mes dessins. Et j’ai fini par aller dans la rue, en commençant parécrire mon nom. Cela m’a pris du temps avant que ça devienne quelque chose. A l’époque, on peignait avec des bombes pour carrosserie, il y avait tout un apprentissage. C’est comme ça que j’ai exploré Paris, parce qu’on cherchait des lieux. Les recoins, les terrains vagues, la petite couronne, qui étaient comme de petites villes dans la ville. Cela m’a pris une dizaine d’années avant d’aller plus loin, vers quelque chose de plus personnel. Le graffiti, ce sont d’abord des codes. Quand on arrive à maîtriser le geste, on s’écoute un peu plus.
Qu’avez-vous appris alors ?
Le graffiti est un bon exercice, parce que cela doit aller vite, et qu’on n’a pas peur d’y aller. Je peignais un ou deux murs par semaines, qui pouvaient être effacés le lendemain. Au mieux, on en garde juste une photo, on pense déjà à celui du lendemain, qui sera plus beau. J’allais aussi à Nantes, parce qu’à l’époque il y avait peu degraffitis en province. A Paris, chaque mur était overdosé de couleur. A Nantes, on pouvait peindre des murs de 50 mètres de long en pleine rue. Là, les gens étaient très réceptifs, ils aimaient voir de la couleur – à Paris le graffiti était assimilé banlieue, problème. Alors qu’en fait, quand on allait tagger dans le métro, on était quarante, et il y avait aussi bien ceux qui venaient des cités du 95 que les jeunes des beaux appartements du seizième, et on n’en avait rien à faire, on était là pour autre chose. J’ai peint aussi bien pour des clochards dans leurs squatts que des fonds de scène pour des défilés haute couture ! Grâce à cela, j’ai aussi beaucoup voyagé. Cela m’a construit en tant que personne, dans une ouverture.
C’était une période d’effervescence ?
Oui ! Paris a été complètement effacé en 99. Un graffiti ne pouvait pas vivre plus de deux jours. Laville est redevenue complètement vierge. C’est aussi le moment où j’ai découvert le papier. Jean Faucheur s’était mis à coller de vieilles affiches des années 80 rue Oberkampf. Il a alors rencontré des graffeurs, dont j’ai fait partie. Il avait un atelier où nous allions peindre de grands formats sur papier. On les exposait dans le lieu, et après on les collait dans la rue. Suite à ça, j’ai commencé à faire mes personnages et à les découper. En fonction de l’endroit, de la couleur, je construisais une petite histoire. Au départ, je le faisais sur des magasins fermés, où je mettais des vendeurs de pingouins par exemple.
Pourquoi être passé à la toile ?
Je peignais beaucoup, et un jour je me suis cassé la jambe. J’ai commencé à attaquer à la peinture le placard de ma chambre… Très vite, j’ai fait en parallèle des graffitis et des toiles. Je ne fais pas du graffiti sur toile, je pense que n’aurait aucun intérêt. Par contre, je laisse énormément de coulures, ça fait partie justement de cette énergie qui me vient du graffiti. Dans mes toiles, il y a toujours un peu le chaud et le froid, le beau et le sale… Comme ça, le propre devient un peu plus vivant, et le sale devient beau…
Quand avez-vous commencé à exposer ?
J’ai fait des études de graphisme. Je ne savais pas que les galeries existaient. Mais peu à peu, cela s’est imposé à moi. J’ai commencé par des galeries underground en Allemagne, en Italie. En 2001, j’ai participé à une grosse exposition à Hambourg, dans un hangar à bières, avec une trentaine d’artistes d’un peu partout, parmi lesquels beaucoup des acteurs importants de l’art urbain d’aujourd’hui : Banksy, Os Gêmeos… Même si j’ai du mal avec les mots, cela m’exaspère plutôt quand on m’étiquette comme « artiste urbain ». Pour moi, je fais de la peinture de mon temps.
Vous diriez que ce mouvement s’est éloigné de sa période « underground » ?
Mais c’est nous aussi qui nous embourgeoisons ! Et je ne pense pas que cela soit un mal. C’est pour aller vers quelque chose de plus personnel. Au départ, on est juste contre. Quand ça devient moins dissident, c’est peut-être parce qu’on va plus loin dans son propre travail. Pour moi, l’évolution vers les galeries a été très naturelle. Aujourd’hui, en France, on a des galeries qui viennent chercher des artistes quasiment dans la rue, alors qu’ils ne sont pas du tout prêts. J’ai tendance à penser que le graffiti doit rester dans la rue. Cela m’a construit, mais ce n’est pas la finalité de mon travail.
Plus que du graffiti, dans votre travail actuel, on sent l’influence de la bande dessinée…
Oui, parce que le trait, pour moi, est essentiel. Mais je me nourris de beaucoup de choses, en permanence. La peinture, je l’ai beaucoup découverte dans les livres, puis dans des expositions. Dans ma bibliothèque, j’ai aussi bien des livres sur la peinture rupestre, que sur la tapisserie flamande !
Pourquoi développer un bestiaire ?
Parce que c’est plus simple pour moi que de dessiner des humains… Je ne sais pas si c’est un relent des fables de la Fontaine, mais je me sens plus libre, avec des animaux, pour dire des choses. Parfois je les utilise comme les personnages d’une scénette, parfois simplement comme une chose graphique. Même si mes dessins sont très illustratifs, comme formes, ils deviennent parfois presque abstraits, pour moi. Un pingouin, pour moi, a autant de valeur graphique qu’un losange !
Le pingouin revient d’ailleurs souvent dans vos toiles…
En fait, je l’appelle comme ça mais il ressemble à tout sauf à un pingouin ! Plutôt à une sorte de Barbapapa avec un bec… Mais c’est une forme que j’aime pour sa simplicité… Je n’en fais pas une signature pour autant.
Vous jouez sur le choc des couleurs… Comment procédez-vous ?
J’ai une approche des couleurs très ludiques. Je connais la dominante de la toile que je vais commencer, mais j’aime bien me surprendre. Déjà, à l’époque du graffiti, j’étais connu pour me servir de toutes les bombes que les autres n’utilisaient pas. J’ai pris l’habitude de faire avec ce qu’il y a, et de trouver les alliances en les faisant. J’aime créer une explosion de joie et de couleurs. D’où le titre de ma prochaine exposition, « Alacrité »…
Sophie Pujas
Prochaines actualités d’Alëxone Dizac :
- Exposition dans le cadre du BNP Masters de Paris Bercy (du 27 octobre au 4 novembre 2012)
- Exposition « Alacrité » à la Galerie Le Feuvre du 15 novembre au 15 décembre 2012
[Visuels (de haut en bas) : Dans la limite, 150 x 150 cm. Peinture acrylique et techniques mixtes sur toile // Bombière accrocheuse. Peinture acrylique et techniques mixtes sur tissus imprimés marouflés sur toile. 114 x 146 cm // Quand y en a marre. Peinture acrylique et techniques mixtes sur tissus. 145 x 196 cm]
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