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L’art urbain dans l’arène – Stade de France

20 avril 2012
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International Urban Art - Stade de France

International Urban Art - Stade de France::

Le « Grand Stade » prend aujourd’hui des allures de monument historique, au milieu des incessantes constructions éphémères de verre gris qui caractérisent le paysage urbain de la Plaine Saint-Denis. En bon centre historique, berceau de la Coupe du monde de 1998 et terrain victorieux des Bleus, le Stade de France possède son musée. Les œuvres d’artistes urbains en investissent les cimaises, jouant le jeu du football.

Déjà au moment de la Coupe du monde, plusieurs artistes urbains furent sollicités pour annoncer la compétition, in situ : le pochoiriste Nemo réalisait des fresques aux abords du Stade de France, et du côté de Nantes les graffeurs Daim, Darco, Loomit, Nasher, Shok, Skyone et Web’s signaient une fresque monumentale en face du stade de la Beaujoire [1]. En marge des œuvres de commande, les graffitis se multipliaient dans Paris, avant le grand nettoyage des rues [2]. Quelques esprits facétieux peignaient sur un train un graff « Footix » accompagné de la phrase « La star du X », détournant avec provocation le nom de la mascotte de la compétition [3]. Banksy n’avait pas encore porté à l’art urbain son coup de marteau millionnaire [4]. C’était une autre époque, pas si reculée, où le graffiti s’affirmait à la fois comme une culture populaire mais aussi, de manière visible, comme une contre-culture méfiante à l’égard de l’économie dominante et de la propriété.     

Depuis , il s’en est passé des choses dans le milieu de l’art urbain français. Si les ventes d’œuvres d’artistes du graffiti — notamment aux Etats-Unis et en Hollande — ne datent pas d’hier, Arnaud Oliveux [5] explique lors du discours inaugural de l’exposition, qu’on perçoit dans ce domaine, durant ces dernières années, une effervescence dans les galeries et dans les ventes aux enchères : « Les prix sont en pleine explosion, le marché est vraiment en train de se positionner. » Les collectionneurs d’art moderne et d’art contemporain « intègrent aujourd’hui l’art urbain ». L’exposition témoigne en effet de la volonté de ne pas laisser l’art urbain se couper de ces deux autres domaines artistiques, et incite les collectionneurs à l’ouverture. Ce positionnement nécessite de définir la manière d’exister de l’art urbain, question qu’Arnaud Oliveux aborde sous l’angle d’une culture populaire en passe de s’institutionnaliser : « L’art urbain, à travers son évolution, vise à monter progressivement vers cet art qui s’impose dans les musées et dans les galeries, et dans les institutions. » [6] 

Les artistes urbains présentés, qui ont pour point commun d’avoir commencé leur pratique dans la rue [7], concèdent à leurs mécènes d’autres supports. Leur « professionnalisation » au sein du marché de l’art marque une volonté de conscientiser leurs démarches, et par là d’adapter les codes de la culture populaire du graffiti au public des galeries. Avec autant d’efforts d’ouverture des deux côtés, se réconcilient deux domaines qui ignoraient, souvent volontairement, tout l’un de l’autre.

On trouvera sans peine des exemples de ce mépris : ainsi, le peu d’intérêt que les peintres impressionnistes portaient au football, exclu de leurs représentations, et tout au plus montré comme un loisir et non pas comme un sport, alors même qu’il se professionnalisait [8]. La séparation entre art et culture populaire pouvait alors s’expliquer par la différence de communauté à laquelle chacun s’adressait ; voire par la différence de classes sociales concernées [9]. Il faut attendre Umberto Boccioni (1882-1916) et la réflexion futuriste autour du mouvement pour que le football entre dans une toile moderne : Dynamisme d’un footballeur, 1913 [10]. Plus tard l’univers sportif est devenu une source d’inspiration pour le mouvement CoBrA, Fluxus ou encore le pop art [11] qui ouvrent les frontières entre l’art et les cultures populaires. 

Quelques-uns des artistes exposés au Stade de France rendent hommage au pop art : une sérigraphie de Banksy met en scène un personnage encapuchonné tenant en laisse le chien que Keith Haring représentait dans plusieurs de ses œuvres. Andrew McAttee peint une explosion colorée accompagnée des mots « What » et « The », qui absorbe le spectateur dans le détail mouvementé d’une bande dessinée. On peut trouver chez Ben Eine une fascination pour les typographies d’enseignes de magasins. Sun7 use de la figure médiatique de Nelson Mandela [12], révélée par une composition calligraphique. Cependant que ces artistes urbains aient soucis, comme leurs aînés du pop art, d’élever au rang d’œuvres d’art la banalité d’images quotidiennes, ne suffit pas à définir de manière spécifique leur art comme un art populaire.

Du reste, les démarches sont trop variées pour rentrer dans la seule case « héritières du pop art ». Dain et Pure Evil, autres artistes exposés, utilisent la dérision. L’un avec un collage réalisé à partir d’une publicité, et l’autre avec l’image d’un assemblage d’une machine à écrire surmontée d’un masque de Darth Vader, dans les yeux duquel on peut lire « Fuck you ». Teurk propose la sculpture d’un parpaing à grande échelle, comme pour inciter à déconstruire la ville. Tanc circonscrit un bouillonnement de gestes et de couleurs au centre d’une toile. Peu d’artistes font le choix de montrer des lettrages de graffs, à part Shuck One dont le nom semble se consumer en poussière dorée dans la profondeur d’un fond rouge. Quant à Nasty, dans un traitement plus lisse, il utilise sur une toile quelques procédés du graff (remplissage, contour, 3D, highlight) dans un lettrage qui lui est propre.

Le vrai dénominateur commun de ces artistes, comme il a été dit plus haut, est d’avoir commencé leur pratique dans la rue. Par conséquent, ils se sont adressés au public de la rue, donnant à l’œuvre une dimension populaire dans sa réception même. En proposant de mettre en lien l’art urbain avec le football, l’exposition nous instruit sur la reconnaissance d’une culture populaire par sa marchandisation. Une reconnaissance non sans contrepartie puisqu’elle modifie notre vision de l’art de rue, comme la Coupe du monde 1998, démesurément exploitée [14], a modifié le football et ses pratiques : l’afflux de supporters, le déploiement des dispositifs de sécurité, l’agrandissement de nombreux stades qui changent le paysage urbain. Pour les besoins du spectacle, la question du style de jeu des joueurs était secondaire.

Il faut souhaiter que l’art urbain se garde de cet affadissement : art populaire mais non effet de masse. De toute manière, le fait qu’il soit un travail consistant à produire de l’image constitue une différence fondamentale avec le football. La diversité et la qualité des démarches, dont rend compte cet échantillon d’œuvres internationales, prouve une liberté des artistes dans leurs choix plastiques. Espérons que dans l’avenir ces qualités de style ne servent pas seulement un art du divertissement.

 
N.B. D’autres expositions établissant un lien entre le football et l’art urbain sont prévues pour 2013 et 2014, en France et aussi au Brésil. Cette initiative laisse imaginer le devenir de ces deux cultures populaires. 

Bernard Fontaine

Notes

[1] A ce sujet, regarder « Un graff pour la coupe du Monde 1998 » : vimeo.com/32784868

[2] Au mois de février 2000, la Ville de Paris a mis en place un nouveau service pour l’enlèvement systématique des graffitis, dénommé KORRIGAN. Le groupement d’entreprises COVED/NICOLLIN/OURRY a pour mission deux tâches : la première est de faire disparaître 90% des 240’000 m² de graffitis recensés à Paris, avant février 2001 (phase de nettoyage dite de « mise à niveau »). La deuxième est de maintenir les murs propres pendant cinq années, à compter de février 2001 (phase de « maintenance »).

[3] Photographie parue dans Graff it ! n°5

[4] Banksy, Keep it Spotless, 214 x 305 cm, vendu 1’230’000 € chez Sotheby’s en 2008

[5] Arnaud Oliveux est responsable du département dʼArt urbain d’Artcurial Paris

[6] Arnaud Oliveux, discours inaugural de l’exposition, le 3 avril 2012

[7] Arnaud Oliveux, pendant le discours inaugural : « C’est le terme populaire qui est important pour lier ces deux domaines » « Au départ, les artistes présentés (..) ont débuté dans la rue. »  « Le but étant de toucher le public qui passait devant les murs. »

[8] Le professionnalisme dans le football débute en 1879 en Angleterre. Dans ce pays, il sera autorisé à partir de 1885. www.storyfoot.com/jeu2.php

[9] Le club de Manchester a été fondé par un groupe de cheminots en 1878 et celui de Coventry par des ouvriers de l’usine Singer en 1883.

[10] Chazaud, Pierre, Art et football : football and art. 1860-1960, Impressionism(e), Cubism(e), Pop-Art, Mandala Edition, 1998

[11] Andy Warhol a représenté des sportifs, dont le footballeur Pelé. Andy Warhol (1928-1987), Pelé, 1977-79. Silkscreen and polymer paint on canvas. 101.6 x 101.6 cm.

[12] Vidéo Nelson Mandela by Sun7

[13] On se souvient de l’immense portrait de Zinedine Zidane « Made in Marseille» à Marseille et à Paris sur l’arc de triomphe, projeté avec d’autres portraits de joueurs de l’équipe de France (publicités Adidas « La victoire est en nous »).

International Urban Art

Du 3 avril au 30 mai 2012

Tous les jours 9h30 à 17h00
Sauf veille et jours du 14 avril, 28 avril, 5 mai, 12 mai 2012

Entrée gratuite

Stade de France
Accès Porte E
Rue Jules Rimet
93210 La Plaine Saint-Denis
M° Saint-Denis Porte de Paris

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