La Muette de Portici – Auber – Opéra Comique
Rares sont les moments à l’opéra où votre corps palpite à chaque fin d’acte grâce à une musique flamboyante et une mise en scène d’une intensité dramatique surpuissante. Avec peu de moyens, Emma Dante a réussi un tour de force spectaculaire en s’accaparant La Muette de Portici de Auber, une œuvre que l’on n’avait pas entendue depuis trop longtemps. On ne peut que se réjouir de voir un regain d’intérêt pour le grand opéra français et en particulier pour le compositeur Daniel-François-Esprit Auber.
En 1828, un an avant le Guillaume Tell de Rossini, Auber fit sensation à l’Opéra de Paris avec cette œuvre sur fond d’insurrection révolutionnaire italienne à Naples au XVIIème siècle. Auber est alors le digne héritier de Rossini tout en annonçant Verdi, Bizet et même Gounod. Le plus étonnant dans cette œuvre lyrique en cinq actes est surtout de voir confier le rôle principal… à une muette.
Pour cela, Emma Dante a fait appel à la jeune Elena Borgogni, une de ses comédiennes fétiches qui habite la scène Favart avec une rage de vivre et une gestuelle fragile, brutale et physique. Entourée de dix autres comédiens (pour ne pas dire danseurs) c’est l’Italie toute entière que l’on retrouve dans les couleurs chaudes et rouge sang conçues par Dominique Bruguière au son des tarentelles écrites par Auber et avec la gestuelle conçue par Sandro Maria Campagna, que l’on dirait sortie tout droit de la scène finale du film Allonsanfan des frères Taviani.
Public, réveille-toi !
Difficile à interpréter et nécessitant un plateau vocal exigeant, cette production fait avant tout honneur au chœur magnifique (bravo à celui du théâtre royal de la Monnaie) et aux voix masculines parmi lesquelles les barytons-basses (Laurent Alvaro, Tomislav Lavoie, Jean Teitgen) et le ténor Michael Spyres. Quarante ans avant L’or du Rhin de Wagner (qui affectionna particulièrement l’œuvre), Auber et ses librettistes Eugène Scribe et Germain Delavigne font ici rendre compte à quel point le pouvoir peut rendre fou.
C’est cette même folie que l’on retrouve à chaque fin d’acte où les soldats se dévêtissent en pleine frénésie, où le révolutionnaire Masaniello perd la tête au moment d’être intronisé et lorsque Fenella la muette devient martyre venant rappeler les tableaux de Goya et de Chirico. La chair humaine y est autant dépecée que dans un tableau de Rembrandt.
L’accueil mitigé par la presse et le public rend malheureusement compte d’un problème dont souffre aujourd’hui le milieu de l’opéra : celui de voir un public vieilli et dramatiquement dépassé qui manque cruellement de jeunesse et de vitalité. L’inverse de cette production qui porte en elle à certains égards une brutale marque révolutionnaire.
Edouard Brane (Twitter : Cinedouard)
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La Muette de Portici
Introduction à l’œuvre par Agnès Terrier 40 minutes avant chaque représentation
Direction musicale : Patrick Davin
Mise en scène : Emma Dante
Fenella : Elena Borgogni
Alphonse : Maxim Mironov
Elvire : Église Gutiérrez
Masaniello : Michael Spyres
Pietro : Laurent Alvaro
Borella : Tomislav Lavoie
Selva : Jean Teitgen
Lorenzo : Martial Defontaine
Décors : Carmine Maringola // Décors et costumes : Vanessa Sannino // Lumières : Dominique Bruguière // Collaboration aux mouvements : Sandro Maria Campagna // Assistante musicale : Alexandra Cravero // Assistant mise en scène : Giuseppe Cutino // Assistante décors et costumes : Mara Ratti // Assistante collaboration aux mouvements : Stéphanie Taillandier
Tarifs : 115 // 95 // 70 // 40 // 15 et 6 €
Opéra Comique
5, rue Favart
75002 Paris
M° Richelieu Drouot ou Quatre Septembre
[Crédit photo : E. Carecchio]
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