Shots – Galerie Albert Benamou
En effet, une partie des régimes, après les égarements embrasés de révolutions utopistes, voient se refermer ou s’amenuiser les idéaux démocratiques pour des chaos généralisés.
Les médias nous saturent d’exécutions sommaires, de tortures, de massacres ethniques, de camps de réfugiés, de villes en flammes, d’assemblées de militaires ou d’armée en marche.
Qu’en est-il de notre sens moral et de sa dépouille lâche ?
Dans « notre nihilisme de salon » dénoncé par Camus, nous assistons pétrifiés et impuissants aux représentations distanciées de l’horreur comme à un feuilleton sans fin.
Un enfant de 16 ans a vu en moyenne 18’000 meurtres à la télévision.
Le terrorisme s’est insinué de manière familière dans nos vies au rythme d’une roulette russe.
Les caïds enflamment au gré de la loi du plus fort des cités égarées.
Les trafiquants d’armes que sont nos Etats jonglent avec leurs intérêts comme les gangs des banlieues avec leurs territoires.
Où se situent les artistes dans ce monde ?
D’un côté, des photo-reporters suivent en journalistes les guerres et les conflits armés en rapportant leurs témoignages visuels, avec le pouvoir hypnotique et séduisant d’une oeuvre bien cadrée, sous le vif d’une émotion.
Et les autres vaguement dégoûtés, pris de court, parfois même victimes, exilés de leur propre pays, tentent de dénoncer cette violence en la traitant autrement. Peut-on désamorcer le crime, le mal en le transformant, en le rendant fictionnel ? Peut-on retraiter symboliquement le carnage, l’oppression, la privation des droits de liberté, de pensée, de diffusion des idées ?
Les artistes étrangers nous donnent une formidable leçon et sont les gardes fous de ces principes bafoués.
Le Printemps arabe dans ses rebellions collectives s’est enrichi de l’enthousiasme des artistes qui ont vu fleurir des espoirs de liberté après la chute de tyrans fantoches .
L’ artiste égyptienne Nermine Hammam a associé dans sa douce utopie, les images de militaires traversant dans des chars désarmés, des paysages bucoliques ou des sites touristiques de proximité comme la Tour Eiffel. Les récents événements des massacres ont hélas rapidement donné tort à ces premiers élans pacifiques. De ses images, l’écho du chant de gloire résonne aujourd’hui en cri de colère, témoignage précieux de la manipulation militaire.
En Russie, Sergey Maximishin dénonce caméra au poing les massacres des guerres coloniales d’Afghanistan et de Tchétchénie, tandis que le groupe The Blue Noses offrent une parodie burlesque des morts anonymes des fosses communes.
Les enfants mythologiques du groupe AES+F, dérisoires soldats de guerres publicitaires rappellent dans leur innocence même, la monstruosité universelle et le combat inégal de David et Goliath.
Les artistes chinois abordent, dans la dissidence, le glaive omniprésent d’un régime policé qui accuse 10’000 exécutions par an et dont la censure interdit jusqu’au mot de « démocratie » sur internet. Droits de l’Homme et création artistique sont pour eux inextricablement mêlés. Les artistes sont contraints, même à l’étranger, de jongler avec ces codes d’interdiction souvent au péril de leur propre sauvegarde et sécurité. Ils continuent en images à pleurer leurs morts, des massacres sous Mao à ceux de Tiananmen. Ils restent les observateurs vigilants de la Chine contempoarine et de ses outrages. Ils traitent leur histoire avec une mélancolie amère, en transformant leur deuil en allégories multiples, comme dans un Opéra anachronique. En peintres d’histoire à la manière des anciennes illustrations de propagande, ils récupèrent les armes de leurs oppresseurs pour rivaliser avec eux, les ridiculiser et se donner l’illusion de leur retirer le pouvoir (ex: Gao Zengli dans « Révolution » ou Wang Ziwei avec « Agression »).
A l’inverse de ces guerriers de l’ombre et de leur résistance active, l’occident est en pleine régression. En l’absence de conscience politique, l’impact de la dissidence est moindre. Le seul rebelle reste le hors la loi, le gangster qui continue de porter une image romantique et artistique.
Les séries TV et les fictions de cinéma regorgent de voyous séduisants et « nos héros sont le criminel anonyme de droit commun, le sacrilège conscient et raffiné » disait André Breton.
Notre société, inapte à traiter les meurtres feutrés des cabinets ministériels, idéalise le méchant garçon et le flic qui le pourchasse souvent assimilé.
Parodie du dandy ténébreux mi rock mi séducteur, Philippe Perrin incarne magnifiquement ce héros solitaire qui se met en scène dans une Nice pasolinienne, revolver au poing, future victime de sa propre logique. Désabusé et suicidaire, ce héros là devient notre double nihiliste, un être sans futur, livré à la loi du plus fort dans l’errance d’un monde sans idéal.
C’est également en jouant sur la force du symbole qu’Alexis Masurelle pousse la dérision: l’arme à feu, cet accessoire puissant, a été banalisée à en devenir commun, l’objet guerrier devient alors motif décoratif pour intérieur « design ».
Enfin, Alex Guofeng Cao nous rappelle comment les Etats-Unis ont glorifié leurs morts et associé dans l’inconscient collectif en une seule image la persistance rétinienne de l’assassinat. Kennedy et Lennon sont les deux figures emblématiques de la gloire fauchée et d’un destin contrarié.
Des tirs solitaires aux crimes organisés, l’exposition « Shots », nous projette dans un décor à l’arrière plan toxique où l’arme, comme une drogue malfaisante, est hélas souvent fatale. L’artiste nous en révèle l’hallucinant impact: un miroir brisé, pour notre reflet désormais éclaté.
Véronique Maxé
Shots – Galerie Albert Benamou
D’après une idée de Léa Neuville et Charles Diehl
Œuvres de Aes+F, Blue Noses, Liu Dao, Alex GuoFeng Cao, Nermine Hammam, Sergey Maximishin, Alexis Masurelle, Philippe Perrin, Tian Taiquan, Xu Yong + Yu Na, Gao Zengli et Wang Ziwei
Galerie Albert Benamou
24, rue de Penthièvre
75008 Paris
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