Juliette dans la Tourmente – Marie-Pierre Coton
Ce thème souvent emprunté à l’histoire revient régulièrement en littérature où les clichés ne manquent pas : la jeune fille hérétique aime le chevalier croisé, le huguenot camisard, fils de Pasteur vit un immense amour contrarié avec la fille catholique du chef des Dragons, le Serbe aime la Croate ! Il en est ainsi : l’amour n’a rien à voir avec les choses de la guerre, voilà bien des affaires qui ne concernent jamais ceux qui s’aiment. Chimène comme Rodrigue vous le diront, c’est bien de la paix entre les hommes que survivrait l’amour qu’ils se portent.
Reste que Marie-Pierre Coton a volontairement utilisé une demi-douzaine de situations assez stéréotypées pour les passer à travers le tamis de ses arguments littéraires : un officier allemand tout beau tout blond de la Wermacht et non pas de la SS, « korrect », comme il se doit jouant du piano comme de « ses yeux d’émeraude » et se demandant ce qu’il fout dans cette guerre qui le dépasse, tout amouraché qu’il est de sa jeune maîtresse, Juliette, jeune et jolie femme « aux yeux de saphir » dont le fiancé est prisonnier et dont les parents sont déportés depuis 41, son seul frère rallié à la France Libre dès 40 en Angleterre.
Bref, quelle cochonnerie la guerre, songerez-vous en feuilletant les pages de cette saga familiale qui pourrait finir là où se terminent les plus beaux romans d’amour. Voilà pour les personnages principaux qu’entourent une vieille tante Margot qui perd la boule petit à petit et l’amie fidèle de toujours, Monique, la raison même, jeune femme éclairée parmi autres personnes au caractère plus ou moins trempé.
Juliette, anti-héroïne « utilise son corps comme une formidable machine à oublier »
Bien évidemment le lecteur comprendra très vite que Juliette appartient à la race des anti-héros. On doit rendre à Marie-Pierre Coton d’avoir choisi une des voies les plus difficiles. Le thème de l’anti-héros est un des chemins les plus accidentés à emprunter en littérature. C’est casse-gueule puisque l’adhésion du lecteur est des plus difficiles. Le filtre de la responsabilité pour les uns voire de la respectabilité pour les autres provoque un écran moral qui certes n’aide pas l’auteur. Cependant, MP. Coton persiste à nous dire que son anti-héroïne est le personnage vivant de son roman à elle : Juliette est claire dans sa tête bien que tout ce qu’elle fait conspire contre ses propres certitudes. Comment une femme française aux idées arrêtées peut-elle sombrer corps et âme dans une liaison amoureuse que le conflit armé rend contre-nature ? Comment cet officier élégant en toutes choses s’est-il si spontanément laissé embarquer au moment où tout doit les séparer dans cette passion qui semble les brûler tous les deux (connaissez-vous une passion qui ne soit pas brûlante ?). Et pour cause, l’un est un occupant, soldat de l’armée du troisième Reich. L’autre est une provinciale dans son pays occupé.
Dans la maison réquisitionnée, on vit ici entre gens courtois et c’est en bonne intelligence que file le quotidien de ces années sombres où l’histoire semble se dérouler derrière les grandes vitres qui donnent sur la vie des autres. La vie des autres ? Juliette « qui utilise son corps comme une formidable machine à oublier » n’en fait plus partie. Elle n’est désormais plus tout à fait des autres. Ceux-ci lui feront-ils payer sa forfaiture ? Dans la déroute, qu’adviendra-t-il de son amant d’outre-rhin, Erik Von Kruger, qui reste aussi droit et valeureux qu’un héros wagnérien qu’elle aime et qui le lui rend au-delà de toute raison ?
Que se trame-t-il du côté de la Résistance où s’illustre Philippe, ex-fiancé rejeté parmi les autres ? Juliette arrivera-t-elle à casser cette bulle invisible qui l’entoure, réagira-t-elle contre les forces qui la fascinent et la jettent dans sa passion amoureuse ? Réussira-t-elle à sortir des griffes de son destin de femme ?
Tout au long de ce récit en forme d’épopée, on ne se lasse pas de suivre le cheminement mental de Juliette bousculée par ses contradictions, abîmée par ses culpabilités.
Le style de Marie-Pierre Coton est bien surprenant. Elle donne cette impression de ne pas vouloir sortir des sentiers battus en usant d’une écriture somme toute assez conventionnelle et c’est logique tant que la narration prend le dessus ; cependant, nous devons nous arrêter quelque temps sur le talent personnel qu’elle possède de laisser affleurer les tensions, de savoir captiver le lecteur en l’emprisonnant doucement dans des sentiments contradictoires. La tension amoureuse, les forces du désir partagé ne sont pas sans rappeler l’érotisme de Mario Soldati (Les Lettres de Capri) L’auteur sait parfaitement accompagner cette montée en puissance romanesque en utilisant une fibre personnelle qui l’autorise à casser le récit pour le reconstruire avec une lenteur voulue. Cette apesanteur désirée reste un court bonheur de lecture et nous voilà irrémédiablement repoussés dans le récit qui file avec ses rebondissements. L’amour n’est pas chose facile en temps de guerre !
Son cœur aurait volontiers battu pour la Résistance si celui-ci n’était pas déjà pris par Erik Von Kruger
Juliette nous met aussi mal à l’aise que lorsque nous lisions – Ma Guerre à 9 ans – de Pascal Jardin ou encore -Les Lauriers du Lac de Constance – de Marie Chaix. Encore qu’il s’agissait là de témoignages de faits de collaboration dont la responsabilité incombait à des parents. Juliette, elle, ne collabore pas avec l’ennemi, elle pactise. Elle est comme de ces artistes à l’esprit désordonné qui séduisaient l’occupant sans se poser davantage de questions que ce que déterminait leur intérêt immédiat (Guitry entre autres, Yvonne Printemps ou Arletty accusées de « collaboration horizontale ») ou bien poussés par leur désintéressement total à la façon dont Furtwängler, passionné de la seule musique donnait sans se poser de questions ses beaux concerts devant le Führer entouré du parterre habituel des dignitaires nazis ! Pour Juliette il en va de même. Elle n’a pas su faire de choix au moment où s’imposaient les décisions évidentes dans une famille que la guerre avait mutilée. Est-ce à dire que l’Amour est le plus fort au point qu’il se passerait de connaître le temps qu’il fait et se désintéresserait de son environnement politique et sociologique ? Juliette est ailleurs mais demeure consciente, elle n’accepte pas l’occupation allemande et son cœur aurait volontiers battu pour la Résistance si celui-ci n’était pas déjà pris par Erik Von Kruger…
Le monde de Juliette
Certains diront que le contexte historique aurait mérité d’être développé afin de ne pas laisser penser que la vision de cette guerre, cette occupation par les troupes, telle qu’elle est vécue depuis la bulle protégée de Juliette, serait conforme à l’affreuse réalité de ceux qui l’ont vécue. Loin s’en faut, mais c’est bien de l’intérieur d’un vécu à part que se comprend le regard que Juliette porte sur le monde qui l’entoure. MP Coton nous dit que Juliette est dans la tourmente, on le serait à moins. Elle aurait pu titrer son roman « Le monde de Juliette » puisque seul l’amour est capable de poser ces questions, à la figure de la barbarie humaine : Qu’en est-il de nous deux ? Quand nous reverrons-nous ? Dis, quand reviendras-tu ? »
Patrick DuCome
Juliette dans la Tourmente
De Marie-Pierre Coton
Edilivre, 2011
Prix : 24€
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