Le Socle des vertiges – Théâtre Nanterre-Amandiers
Se tenant à bonne distance du désir d’être aimé par le public ou les critiques, il a écrit, mis en scène et joue actuellement un drame, une fiction appuyée sur l’arrivée de la démocratie au Congo, dont la structure et l’intention sont volontairement éclatées sur scène. L’expérience Dieudonné Niangouna…
L’amour et la haine de Fido et Roger ont poussé du sol boueux du quartier des Crâneurs, à Brazza’. Ils remuent et dissipent l’épais mystère de leur naissance tandis qu’ils évoquent le père Joachim, instituteur découvert mort, le corps criblé de balles, la mère Jane, et cette femme qu’ils ont tous deux aimé, Diane, Diane qui porte aujourd’hui l’enfant d’un de ces deux là. La vérité de leur histoire vaudra la torture du médecin ami du père. Violence pour violence, le châtiment devient concevable et obligatoire.
Dieudonné Niangouna baigne ses récits d’une autobiographie troublante ; déjà, jouant lui-même et faisant jouer son propre frère, Criss Niangouna. En Afrique, nous y sommes, la tragédie s’accompagne de rumba locale aux solo virtuoses de guitare (un magicien-musicien opère en live). Héritier d’une indépendance bancale, l’auteur a grandi au rythme de la dévaluation, de la très fine carotte d’un progrès à plusieurs vitesses, des magouilles mafieuses et des débrouilles de son quartier, et surtout, il s’est étourdi d’une certaine ivresse procédant tour à tour de désirs frustrés, d’espoir et de désillusion, de lucidité et d’aveuglement.
La parole rageuse explose sur scène comme le manifeste d’une souffrance aux écorchures vives. De politique, il est énorménent question et c’est parfois difficile de s’y retrouver ; les meilleurs élèves en histoire et socio-politique de l’Afrique de l’Ouest s’en tireront avec meilleure note. Toutefois, Dieudonné Niangouna, quel superbe nom, ne signe pas là un essai. Nous ne sommes pas à la programmation de France ô ou dans quelque festival aux couleurs exotiques. Le sujet est une tragédie bien réelle, encore actuelle et criée pour nous la faire entendre d’où nous sommes, c’est-à-dire à l’aise-au-chaud dans notre ignorance confortable ou notre tiède indifférence.
Si le texte s’enracine dans un certain réalisme, tout le génie, ou même le dandysme, verbeux est le joyau de nombreux monologues. Au-delà du message qu’on se prend déjà en pleine tête, il faut encore se préparer à entendre une écriture dense, poétique, aussi châtiée, légère, drôle, qu’ordurière. Niangouna s’amuse de cet héritage de la parole, plus que jamais elle est une balle lancée au frère, invitant à l’irrésistible jeu. De la folie viscérale et enlevée du texte, procède un théâtre touffu, sale gosse, espiègle. Niangouna a la grâce de l’enfant savant : il a mangé les codes pour les réinventer, les interroger, les tester. Son théâtre est celui d’un laboratoire avec une profusion de propositions : la video dont l’intervention est terroriste et choquante ; la danse ; des essais superbes avec une scénographie inventive : peu d’élements mais d’une énergie visuelle formelle. Les comédiens sont des électrons fous, vociférant parfois en boucle leur rage, ne pouvant s’en échapper.
Savant fou, professeur Frankenstein, l’auteur se présente plein feu devant une salle décimée au milieu de la pièce par les offuscations des âmes plus sensibles. Il interpèle et critique alors lui-même son œuvre. La nouveauté, la force et l’expérimentation de son art font montre d’un courage inabituel, d’une profession de foi oubliée, presque d’un autre temps où se livraient sur scène de vrais combats, la rebellion initiée dans l’anticonformisme. Avis de tempête : raffales, et vent de révolution soufflent dans nos théâtres.
Gaëlle Le Scouarnec
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Le Socle des Vertiges
Texte et mise en scène de Dieudonné Niangouna
Avec Abdon Fortuné Koumbha, Ludovic Louppé, Criss Niangouna, Dieudonné Niangouna et Ulrich N’Toyo
Scénographie : Ludovic Louppé, Papythio Matoudidi et Dieudonné Niangouna // Vidéaste : Aliénor Vallet // Musicien : Pierre Lambla // Collaborateur technique : Jean-Claude Fiems // Régisseur plateau et jeu : Papythio Matoudidi
Du 9 novembre au 4 décembre 2011
À 20h30 sauf le dimanche à 15h30 — relâche le lundi
Réservations : 01.46.14.70.00
Durée : 2h15
Théâtre Nanterre-Amandiers
7, avenue Pablo Picasso
92300 Nanterre
www.nanterre-amandiers.com
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