Les Trois Mousquetaires – film de Paul W. S. Anderson
Dès les débuts du cinéma, le plus fameux roman-feuilleton d’Alexandre Dumas — à moins que toute son œuvre ait été écrite par Auguste Maquet, comme le suggérait presque L’Autre Dumas, l’année dernière — a fait l’objet de nombreuses adaptations. Cependant, la truculence de l’œuvre originale n’a que trop rarement imprégné les films qui s’en inspiraient. Souvent les scénarios n’en ont retenu que la gaudriole, oubliant d’insuffler cet élément indispensable à tout bon film de cape et d’épée : le panache. Aussi, l’idée d’une énième tentative de transposition de ce roman sur grand écran avait-elle de quoi attiser la curiosité, à défaut de l’impatience. Mais ce qu’il était impossible de prédire était que le résultat de ce nouveau massacre serait effectivement une telle curiosité : à mesure que la débilité le dispute au ridicule, le film atteint des sommets de nullité qui confinent presque au génie – à condition, toutefois, de s’être préalablement armé d’une quadruple dose de second degré.
Autrefois, pour avoir commis des méfaits cinématographiques semblables, Ed Wood se vit décerner le titre de « Pire réalisateur de toute l’histoire du cinéma ». Ce jugement sans appel parait tout-de-même un peu sévère, compte tenu de la liste d’incroyables nanars plus ou moins assumés que produisit Hollywood dans les décennies suivantes, et qui ne pouvaient même pas se prévaloir de la poésie cheap des effets spéciaux à la Ed Wood. Il y eut notamment des films si totalement grotesques qu’encore aujourd’hui, à leur vision, on ne peut qu’espérer que leur caractère parodique soit issu d’une volonté assumée. (Au hasard, citons Commando, de Mark L.Lester, avec un Schwarzenegger tout en muscles en cette année 1985). Les Trois Mousquetaires, de Paul W. S Anderson s’inscrit dans la même veine, et c’est sans doute là son unique qualité.
Passons sur la liste des incohérences, invraisemblances et autres monstrueux anachronismes, car dans un souci d’exhaustivité, il faudrait pour cela raconter tout le film en détails ; quelques éléments mineurs tentent de rappeler au spectateur l’histoire originelle, afin de lui confirmer qu’il ne s’est malheureusement pas trompé de salle à son entrée dans le cinéma. (La rencontre entre le jeune gascon insolent et son ennemi capitaine des gardes du Cardinal ; celle des Trois Mousquetaires provoqués simultanément en duel ; l’affaire des ferrets de la reine). Et c’est donc médusé qu’il voit Athos, Porthos, Aramis, D’Artagnan – et accessoirement Planchet – éviter des pièges tout droits sortis d’Indiana Jones et le Temple Maudit, jouer aux pirates à bord de bateaux-dirigeables équipés de mitraillettes lance-flammes, tandis que Milady effectue des cascades à la Matrix. Dans ce micmac invraisemblable, on s’attendrait presque à découvrir que les soldats du Cardinal sont en fait des robots-tueurs (après tout Athos joue les ninjas en scène d’ouverture, Porthos est un colosse chauve mais plein de muscles, et Aramis saute d’immeuble en immeubles avec l’aisance de Catwoman), mais non, ouf.
Quant à l’intrigue raffinée qui sous-tend ce carnaval, elle commence à Venise justement. Aidés par l’espionne Milady, Athos, Porthos et Aramis sont venus percer à jour la cachette des plus géniaux secrets de Leonard de Vinci afin de récupérer pour la France les plans d’une super-machine de guerre (le fameux bateau-dirigeable-aéronef). Mais alors qu’ils s’apprêtent à trinquer à leur victoire en déclamant leur célèbre « Tous pour un et un pour tous ! » ils tombent, empoisonnés. La perfide amante d’Athos, Milady, les a trahis et le vil Duc de Buckingham s’empare du plan si convoité.
Un an après cette déconvenue, ils sont bousculés par D’Artagnan, jeune et impudent gascon qui rêve de rejoindre les rangs des Mousquetaires. Après s’être battus ensemble contre les sbires de Richelieu, D’Artagnan et ses mentors désormais blasés deviennent amis. Aussi lorsque Constance, l’une des suivantes du roi dont le godelureau est épris, les appelle à l’aide pour déjouer un infâme complot contre la reine, leur sang ne fait qu’un tour : ils décident d’aller faire tâter de leur lame à ces félons de Duc de Buckingham et de Capitaine de Rochefort !
Pas sûr que la rigolade vaille le prix actuel d’un ticket de cinéma, donc. Une question continue par contre de tarauder l’esprit à l’issue de cette calamité : qu’a donc bien pu faire ce pauvre Alexandre Dumas, qui a déjà dû attendre 132 ans pour voir sa dépouille transférée au Panthéon, pour mériter que son œuvre continue d’être saccagée avec un acharnement aussi stupéfiant ?
Raphaëlle Chargois
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Les Trois Mousquetaires
De Paul W. S. Anderson
Avec Logan Lerman, Matthew MacFadyen, Milla Jovovich, Luke Evans, Ray Stevenson, Orlando Bloom, Mads Mikkelson et Christoph Waltz
Sortie le 12 octobre 2011
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