Interview de China Moses
A l’occasion de sa prestation dans le cadre de la 38e édition du Nancy Jazz Pulsations, le 11 octobre, nous l’avons rencontrée.
China, après un début de carrière plutôt soul / R’n’B, vous avez sorti en 2009 un album-hommage à la « Reine du Blues », Dinah Washington intitulé This One For Dinah, que vous interprétez depuis sur scène. Quelle est la genèse de ce projet ?
C’est juste une rencontre entre Raphaël Lemonnier, le pianiste et arrangeur, et moi. On s’est rendu compte qu’on adorait tous les deux Dinah Washington. On nous a proposé de faire une création pour le festival de Nîmes – en 2007, je crois -, et on l’a fait. C’était un spectacle avec un comédien en hommage à Dinah et aux femmes-chanteuses en général. Le répertoire a plu, alors on a fait pas mal de concerts, puis le CD. On a trouvé un distributeur, Blue Note Records, qui était intéressé, mais tout est parti d’une simple rencontre.
Justement, dans quelles circonstances cette rencontre entre le pianiste de jazz Raphaël Lemonnier et vous-même s’est-elle produite ?
Il m’a invitée à chanter avec lui sur scène dans le cadre d’un projet qui s’appelle « Dancing » et qui a lieu tous les ans à Nîmes, une sorte de bal populaire nouvelle génération. Un jour off, on écoutait de la musique, Dinah Washington est arrivée, et j’ai dit que j’adorais, lui aussi… La vie a fait le reste.
Qu’est-ce qu’elle représente, pour vous, Dinah Washington ?
Ce qu’elle représente pour moi, Dinah Washington ?… Peut-être pas la vie rêvée, mais en tous cas une sacrée force de caractère. Être chanteuse dans les années 40, 50, voire 60, c’était une forme de rébellion, surtout dans la communauté noire américaine. Faire du jazz c’était jouer la musique du Diable, c’était aller contre pas mal de choses, la communauté noire américaine étant à cette époque très croyante. Pour avoir décidé à un aussi jeune âge que la religion ça ne l’intéressait pas, choisi d’être une ‘entertainer’, préféré les jolies robes, les endroits clandestins, et osé dire tout ça à une mère qui jouait dans les églises, il lui a vraiment fallu du caractère !
Et puis elle a eu une vie personnelle assez tumultueuse, ce que j’ai vraiment appris quand on a monté le spectacle, puisqu’avant je connaissais surtout sa musique. Au niveau de la voix, elle était l’une des rares chanteuses à savoir allier parfaitement une sorte de rugosité blues dans un répertoire jazz. Elle était une interprète particulière, et c’est ça que j’ai tout de suite apprécié quand je l’ai découverte, petite : elle avait une espèce d’espièglerie enfantine mais avec une profondeur surprenante. Et elle faisait tout ça avec un sourire, une pêche, une sorte de furie de vivre, une folie qui pour moi a toujours été très attirante.
Comment vous êtes-vous réapproprié son répertoire ?
Je ne me suis pas réappropriée son répertoire : dans le jazz il y a plutôt des standards que tout le monde reprend, comme Summertime par exemple. Donc les chansons ne sont pas vraiment de son répertoire !
En France, on connaît Billie Holliday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, mais on connaît moins Dinah Washington parce qu’elle n’a pas fait beaucoup de concerts en Europe. Raphaël et moi, on voulait surtout raconter son histoire, faire la lumière sur elle, dont on connaît la voix mais pas vraiment la personnalité. Quasiment personne en France ne sait qu’elle a eu sept maris, qu’elle a eue sa propre boîte, découvert d’autres artistes, été patronne d’un club… C’est pourtant un sujet qui me parait assez fascinant : les femmes qui, à cette époque-là, ont osé décider d’être artistes.
Quels sont vos projets musicaux ?
Raphaël et moi, on est en train de préparer le prochain album, avec les musiciens qui sont là, Jean-Pierre Derouard et Fabien Marcos. Ce qui importe dans le jazz et dans les musiques actuelles, c’est de jouer. Nous avons un nouveau répertoire, qui part de Dinah et couvre pas mal d’autres chanteuses qu’on aime, de Bessie Smith à Aretha Franklin. Nous en ferons un autre album, qu’on enregistrera en décembre, je pense, et qui sortira probablement l’année prochaine.
J’ai aussi un groupe de rock-fusion avec lequel je tente tant bien que mal de faire des concerts : c’est une version évoluée d’un groupe au départ purement métal, dans lequel je joue depuis quatre ans, avec des gars que j’ai rencontrés en même temps que Raphaël. Et puis je fais de la soul. Mais je n’explore pas d’autres genres : j’ai toujours aimé chanter dans plein de styles différents.
Depuis la rentrée 2011, vous présentez également une chronique musicale dans l’émission de Canal +, « Le Grand Journal ». Cette activité critique influence-t-elle votre regard sur la musique, ces deux activités se nourrissent-elles l’une de l’autre ?
Non, pas vraiment. Dans « Le Grand Journal » je fais le métier le plus cool du monde : tous les jours je rencontre des acteurs, des chanteurs, et toutes sortes de gens intéressants. C’est comme avoir un nouveau mentor chaque jour, et je m’éclate ! Je découvre plein de nouveaux trucs, dans une super émission. Mais cela n’influence pas ma musique.
Par contre les années que j’ai passées en tant qu’animatrice sur MTV, ça oui, ça m’a appris l’importance de l’image. Regarder ma mère sur scène aussi. Maintenant je suis plus à l’aise, je sais en jouer, mais je l’ai appris sur le tas, au fil des années.
On se figure souvent à tort que le jazz c’est pas très sexy, j’essaie de démontrer le contraire.
Connaissiez-vous le Nancy Jazz Pulsations ? Qu’est-ce que cela représente pour vous de chanter dans ce festival ?
C’est la classe ! Je suis déjà venue chanter à Nancy il y a très longtemps… 1995, peut-être, dans une salle de concert. Mais ce festival… Tout le monde a envie d’y jouer ! C’est l’un des plus anciens, et puis, plus je fais de festivals de jazz et plus je me rends compte à quel point il faut être fou pour monter un festival de jazz de cette ampleur, une telle infrastructure, recruter des bénévoles, organiser un truc pareil ! Je trouve que c’est génial d’avoir toujours cette envie, cette folie au bout de 38 ans.
Propos recueillis par Raphaëlle Chargois
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La 38e édition du festival Nancy Jazz Pulsations se poursuit à Nancy, en Lorraine, jusqu’au 15 octobre. Programmation disponible sur www.nancyjazzpulsations.com/index.fm.php
China Moses et Raphaël Lemonnier sont quant à eux actuellement en tournée dans toute la France et dans diverses villes d’Europe. Ils seront notamment :
- le 13 octobre à Meudon
- le 15 à Beaune
- le 2 novembre au siège de l’Unesco à Paris
- le 12 novembre à Limoges
- le 15 à Cholet
- le 16 à Carquefou
- le 19 à Bagneux
- les 5, 6 et 7 décembre à Paris
[Visuel : China Moses © Benoît Peverelli]
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