Festival du Film Américain de Deauville 2011 – Bilan
Cette année encore, le public présent à Deauville pour cette 37ème édition du Festival du Film américain de Deauville aura eu la chance de parcourir le Nouveau Monde depuis une salle de cinéma. D’Est en Ouest, c’est une ruée vers les bas-fonds des États-Unis qui fut proposée à travers une sélection de films comme d’habitude exigeants et difficiles. Rien de mieux pour découvrir en image les paysages atypiques de certains États parmi lesquels l’Oregon, New York, la Californie, l’Illinois, le Mississippi, le Texas, le Maryland et même l’Alaska.
Si les éditions précédentes se sont davantage attardées sur les conséquences du 11 septembre et de la guerre en Irak, les films présentés cette année se sont majoritairement concentrés sur l’enfance et les conflits familiaux. Des symboles propres à une nouvelle génération en perte de repères à l’heure où les réseaux sociaux rendent de plus en plus individualiste malgré son appellation… sociale. Que cela se répercute au sein d’une famille défavorisée ou aisée, le résultat semble être le même. Dans la plupart des cas, une absence totale de communication entre parents et enfants vient bouleverser la vie quotidienne due à des secrets enfouis non exorcisés.
La Paranoïa
Take Shelter de Jeff Nichols, Grand Prix du Festival, pourrait être à ce titre un condensé à lui seul des films présentés cette année par la paranoïa qui s’en dégage et l’angoisse qu’il suscite. Réflexion post-11 septembre, soit une méditation sur la peur ambiante qui nous entoure, ce long-métrage pose indirectement des questions justes et profondes. Son histoire s’écoule sur plusieurs jours où tout va basculer pour un père de famille ouvrier sujet à des angoisses croissantes. Il sera alors prêt à tout pour sauver sa famille et se préserver lui-même, quitte à se cacher la vérité à l’aube d’un ouragan apocalyptique. Efficace par sa forme et sombre par son fond, ce film vient confirmer la tendance de certains cinéastes à aborder de plus en plus comme sujet la fin du monde. Ce fut déjà le cas dans Melancholia de Lars Von Trier tout comme dans le dernier Abel Ferrara, 4:44 last Day on Earth.
Toujours dans la compétition officielle, Trust de l’ancien « Friends » David Schwimmer évoque lui aussi avec talent l’obsession paranoïaque ambiante d’un père de famille obsédé par l’agresseur sexuel de sa fille rencontrée sur internet. Porté par Clive Owen et la jeune Liana Liberato, l’efficacité du scénario marque autant par sa tournure que par son traitement. Celui-ci a surtout le mérite d’exposer le danger omniprésent des réseaux sociaux auprès de la toute nouvelle génération.
Les Outsiders
Après les parents en difficultés vient le tour des enfants, plus particulièrement des outsiders qui nous entourent, ces êtres esseulés en manque cruel d’amitié et d’amour. C’est le sujet de fond de deux films différemment traités, mais dont le personnage principal a la quasi même caractéristique : celui d’être un jeune corpulent, risée de tous et immature à souhait. Avec L’outsider (Dark Horse), Todd Solondz signe son meilleur film et impose à l’écran une vraie révélation en la personne de Jordan Gelber. Traité avec la même touche d’humour juif qu’on lui connaît, Solondz supplante même Woody Allen grâce à son esthétique sixties et un scénario qui a tout pour faire rire au départ avant de sombrer dans la tristesse. Le gros coup de cœur de ce festival.
Tout l’inverse du film Terri de Azazel Jacobs, plate copie d’un Cyrus des frères Duplass qui se veut dans la même veine de ce genre de film indépendant côte ouest… avec le talent en moins (ce mouvement a d’ailleurs un nom : « Mumblecore »). L’unique déception du festival, si ce n’est qu’il aborde toutefois avec tendresse ce fameux conflit existentiel entre deux générations opposées.
Le Nouvel Hollywood
Ce festival était aussi l’occasion de mettre en orbite deux nouveaux talents américains au sein d’une sélection intitulée « Le Nouvel Hollywood ». Honneur aux femmes, Jessica Chastain est, il est vrai, une révélation magnifique en tout point de vue. Elle a la grâce d’une star des années 50, le visage clair, le regard perçant et un jeu propre a elle-même. The Tree of Life est venu la présenter, Take Shelter et La Couleur des Sentiments sont venus confirmer son talent et son immense beauté. A ses côtés, Ryan Gosling est l’autre révélation de ce « Nouvel Hollywood ».
Un autre jeune acteur méritait pourtant la même importance, si ce n’est plus. Avec des films comme Afterschool, We need to talk about Kevin et Another happy Day, c’est un adulte (sous l’apparence mature) âgé de seulement 18 ans qui crève l’écran. Regard perçant, teint blanchâtre, les traits angoissants, Ezra Miller a tout de l’adolescent rebelle contemporain, symbolique de cette jeunesse insouciante. Nul doute qu’il s’agit là d’un talent à suivre.
Conflits familiaux
Des ados rebelles, il y en avait beaucoup sur les planches de Deauville. Pourtant, The Dynamiter vient présenter un tout autre versant. Œuvre typique de ce que les Américains font de mieux en terme de film indépendant, la justesse de son propos et l’absence de complaisance font la réussite de ce long-métrage sans budget. La chaleur moite et humide du Mississippi se ressent sur grand écran où l’on suit le parcours d’un jeune garçon devant seul gérer sa grand-mère et son demi-frère confronté à une mère absente et un frère aîné immature. C’est beau, c’est Malickien, c’est touchant et il a reçu le Prix du Jury.
Face à lui, Another Happy Day de Sam Levinson (le fils de Barry Levinson, 26 ans seulement !) signe un premier film impressionnant qui s’attarde sur une famille aisée à problème réuni à l’occasion d’un mariage qui tournera au drame. Doté d’un casting tout simplement parfait (Ellen Barkin, Ezra Miller, Demi Moore, Kate Bosworth, Thomas Haden Church, Ellen Burstyn et George Kennedy), le film avait déjà fait sensation à Sundance. Il souffre pourtant d’un problème de structure scénaristique contrebalancé par un jeu d’acteur sans faille. Ellen Barkin y trouve ainsi son plus beau rôle, tiraillée par chaque membre de sa famille entouré d’un fils drogué, une fille suicidaire, une mère inexpressive, un ex-mari remarié à une jalouse possessive et un nouveau mari absent.
Conclusion
Au-delà d’une compétition de qualité et de nombreuses avant-premières et rétrospectives, le Festival de Deauville est-il en quête de survie ? A entendre certains festivaliers et restaurateurs de la région, la réponse semble se préciser. Moins de stars engendre moins de fréquentations et peu de places allouées aux journalistes pour certaines projections entraine une trop grande frustration. C’est ce que l’on pourrait d’ailleurs reprocher à ce festival, se prendre un peu trop au sérieux pour ce qu’il n’y a pas forcément lieu d’être. Un désir est toutefois certain : celui de ne pas le voir disparaître afin qu’il puisse continuer à nous faire découvrir les nouveaux talents américains de demain.
Edouard Brane
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