Melancholia – film de Lars Von Trier
Pour les poètes symbolistes, qui la nommèrent autrefois « Spleen » ou « Mal du Siècle », la mélancolie fut une source inépuisable d’inspiration. Saturne en manifestait la présence dans la galaxie, astre funèbre, infernal, que ces mêmes poètes contemplaient avec fascination, d’où les fameux Poèmes Saturniens de Verlaine. Cependant, dans le dernier film de Lars Von Trier, le corps céleste qui suscite simultanément l’effroi, la fascination et la répulsion n’est pas Saturne mais Melancholia, planète nouvellement révélée, et qui doit se livrer avec la Terre à une imminente « danse de la mort ».
Le prélude de Tristan und Isolde, de Richard Wagner, retentit lorsque les deux astres se heurtent. Dans son visage glacé, les yeux de Kirsten Dunst s’ouvrent sur une pluie de cendres. Charlotte Gainsbourg, serrant un enfant dans ses bras, lutte à chaque pas contre le sol qui veut l’engloutir. Ces tableaux vivants se succèdent sans le secours d’aucune parole ; seules la musique et l’image, d’un graphisme époustouflant — quoique peut-être un peu trop grandiloquent —, se répondent.
Aussi, rien ne préparait le spectateur à se retrouver, sitôt un bref générique passé, en plein mariage quasi princier. Justine (Kirsten Dunst) et Michael (Alexander Skarsgard, qui suscite l’émoi du public féminin depuis quatre saisons dans la série télévisée « True Blood ») célèbrent leurs fastueuses noces dans la non moins luxueuse propriété de John et Claire, sœur de Justine. Pourtant, au-fur-et-à-mesure de la soirée, Justine semble mentalement se désagréger, de même que son couple. Une angoisse sourde taraude Claire ; Melancholia frôle la Terre et malgré les objections de son mari féru d’astronomie, Claire est convaincue qu’elle va la heurter et l’anéantir…
Ce qui frappe vraiment l’esprit dans ce dernier film du controversé Lars Van Trier (en son temps fondateur du Dogme 95, avec lequel il rompt radicalement et renoue tout à la fois ici), c’est l’omniprésence de l’idée de collision. Elle se répercute jusque dans la trame narrative de Melancholia, film scindé en deux parties pour révéler les personnalités dialectiques des deux sœurs ; jusque dans les rapports entretenus par les personnages. Ainsi les corps de Justine et Michael se frôlent mais n’arrivent pas à s’atteindre, comme le proclame une significative scène de nuit de noce ratée ; l’antagonisme frontal de Gaby, la mère de Claire et Justine, qui déclare sa haine des mariages au moment des discours émus, détone dans la perfection du décor ; l’angoisse de Claire s’oppose à l’enthousiasme de son mari qui ne peut détacher ses yeux de la voûte céleste où il veut admirer la survenue de Melancholia. Les images aussi s’entrechoquent, le lyrisme des scènes d’apocalypse contrastant avec le cadre brutal, caméra à l’épaule, qui caractérise le quotidien des personnages anxieux, aux traits fatigués, d’avance épuisés face à l’imminence de la catastrophe. Car Lars Von Trier ne ménage que peu d’espoir à ses protagonistes : le répit est vain, et Melancholia une fatalité. La planète explosera comme la cellule familiale dans le cadre duquel tout le film se déroule.
Néanmoins, en dépit de sa beauté plastique indéniable, Melancholia souffre de certaines longueurs qui nuisent à son pourvoir fascinatoire. N’eussent été ces problèmes de rythme qui gâchent le plaisir d’un spectateur inévitablement séduit par la beauté formelle de cet étrange objet filmique, son bonheur eût peut-être été parfait. Mais après tout, ne dit-on pas que la perfection n’est pas de ce monde ?
Raphaëlle Chargois
{dmotion}xirvbg{/dmotion}
Independent Spirit Awards 2012
- 1 nomination : Meilleur film étranger
The London Critics’ Circle 2012
- 2 nominations : Meilleure actrice et The sky 3D Award
- 1 prix : Prix d’interprétation féminine
- 6 nominations : Palme d’Or, Grand Prix, Prix du Jury, Prix de la mise en scène, Prix du Jury Oecuménique et Prix de la Jeunesse
The Washington DC Area Film Critics Association Awards 2011
- 1 nomination : Prix de la meilleur photographie
European Film Awards 2011
- 3 prix : Award du Meilleur film, European Film Award de la Meilleure photographie et European Film Award des Meilleurs décors
- 3 nominations : European Film Award du Meilleur réalisateur, European Film Award de la Meilleure actrice et European Film Award du Meilleur scénario
Festival International du Film de Toronto 2011
- 1 nomination : Prix de la Critique Internationale – Présentations spéciales
Melancholia
Film de Lars Von Trier
Avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Alexander Skarsgard, Stellan Skarsgard, Charlotte Rampling et John Hurt
Sortie le 10 août 2011
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2011
Articles liés
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...
“Les Imitatueurs” à retrouver au Théâtre des Deux Ânes
Tout le monde en prend pour son grade, à commencer par le couple Macron dans un sketch désormais culte, sans oublier Mélenchon, Le Pen, les médias (Laurent Ruquier & Léa Salamé, CNews…), le cinéma, la chanson française (Goldman, Sanson,...
La danseuse étoile Marie-Agnès Gillot dans “For Gods Only” au Théâtre du Rond Point
Le chorégraphe Olivier Dubois répond une nouvelle fois à l’appel du Sacre. Après l’opus conçu pour Germaine Acogny en 2014, il poursuit, avec For Gods Only, sa collection de Sacre(s) du printemps qu’il confie cette fois-ci à la danseuse...