David Lejard-Ruffet – Compagnie Volens Nolens
Il pourrait fanfaronner d’être là où il est – en résidence au Théâtre de Vanves pour la création de sa troisième mise en scène, Dostoievski trip, d’après l’œuvre de Sorokine. Que nenni. David, philosophe à ses heures, s’étonne. D’être où il se trouve. Il pourrait parler de chance, de hasard, mais ne tombe pas dans ces clichés. Il évoque à son propos, « l’opportunité. Jeune, j’étais celui qui fait rire tout le monde au lieu d’être studieux, ma prof de français m’a alors conseillé de faire du théâtre ». C’est que David suit les idées judicieuses des autres, qui, à chaque fois qu’il doute dans son parcours, se présentent comme autant de chances à saisir. Ainsi pour José Alfarroba, directeur du Théâtre de Vanves et programmateur du festival international de danse et théâtre émergents, Artdanthé.
C’est au moment précis où David était pris par une remise en question de son chemin de metteur en scène, à l’issue d’une (trop ?) longue série de représentations de son travail sur De Vos, que celui qui est devenu son ami lui a offert un challenge : proposer une création. Et, comme David aime, quand même, malgré son humilité, les défis, il a accepté de se prêter au jeu. Qui en vaut la chandelle, largement. Ceux qui ont assisté à la première étape de cette plongée poétique au cœur de l’œuvre de Sorokine, salle Panopée, à Vanves, peuvent l’attester.
Au centre du propos, des lignes claires : l’ambiguïté de la réalité, Est-elle à puiser au sein du vivant en sa trivialité la plus déroutante, la quête de sensations fortes par les drogues, ou en la quintessence de l’addiction, la littérature ? Proust contre Sainte Beuve, en somme. La littérature, ce poison jubilatoire, qui peut se muer en expérience de prise de conscience et même de création de l’existence, l’emporte. « Un jour, dans le Cher, ma grand-mère m’a tendu un livre : Le Grand Meaulnes. D’un seul coup, cette région peu affriolante où je me trouvais et que dépeint l’auteur a pris une coloration magique.
Le simple fait qu’un écrivain décrive un lieu le transcende en objet d’expérience universelle et touchante à l’extrême. Je pense par ailleurs que c’est cette capacité à sublimer le réel qui distingue l’écrivant de l’écrivain ». David, quant à lui, ne prétend pas avec ses pièces mâcher le travail de subjectivité du spectateur, en lui en faisant un commentaire composé, plus ou moins politiquement tendancieux, mais présenter l’objet du désir : le style de l’auteur. « Mettre en scène, tout comme écrire, est en soi un acte politique. Point n’est besoin d’en rajouter ». Car il s’agit bien avec ce travail subtilement onirique sur Sorokine d’une dimension de mise à l ‘épreuve.
S’ouvrir à la vie, est-ce consommer en fanatique monolithique la même substance, ou prendre le risque de la diversité ? Est-ce, d’ailleurs, manger, boire, ou, geste aussi vital, se cultiver ? Autant de questions laissées ouvertes avec grâce et panache, par une mise en scène qui se veut directrice, non par autoritarisme égocentrique, mais par souci du sens. Car oui, David est humble. Mais David est scrupuleux. Lui qui s’étonne encore d’être plébiscité par la télévision, les médias, le public, de plus en plus large, s’interroge sur sa « légitimité. Je n’ai jamais souffert pour en arriver là ». Tiens, on dirait le principe du plaisir et son évidence événementielle prônée par Nietzsche, à l’heure où il recevait des lettres avant d’en avoir eu le désir. « Travailler sans plaisir est aussi vulgaire que travailler pour de l’argent », selon Frédéric. A condition d’être une âme bien née. A coup sûr, David tape dans ce mille.
Bérengère Alfort
Dostoievski trip
Du 6 au 9 décembre 2011
Au théâtre de Vanves (12, rue Sadi Carnot) – M° Malakoff – Plateau de Vanves
[Visuels : portrait de David Lejard-Ruffet (crédit photo : Axel Dupeux) // Spectacle Dostoievski-trip (credit photo : Virgile Biéchy)]
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