Brassens ou la Liberté – Cité de la musique
Brassens… vous pensez à quoi ? La moustache, les copains, la pipe, les gros mots, la poésie, l’anarchie. Tout ça oui, et bien plus encore. Curatée par Joann Sfarr, la grande exposition consacrée à George Brassens (dont on fête les 90 ans de naissance cette année) se révèle extrêmement riche. Séparée en deux sections distinctes, elles couvre d’abord la biographie du personnage, puis son influence sur la postérité. Sfarr n’est pas en reste, gribouillant les murs, s’inspirant de l’illustre « copain d’abord » d’une manière futée, drôle et inventive. Ainsi de l’affiche dont on remarquera qu’elle contourne habilement la loi Evin, premier pied de nez.
90 ans d’absence, de jazz, d’inspirations diverses, d’altruisme à l’autre, à la différence… les étrangers, Brassens connait : sa mère italienne, son appartement exigu dans le quartier cosmopolite de Belleville, au confort limité, impasse Florimont (ainsi des photos amusantes de « la pompe manouche », système hygiénique rudimentaire). Pourtant tout ceci n’avait pas commencé ainsi : les premières année le dévoilent, innocent communiant ou beau dandy, mauvais garçon à Sète, volontiers Cyrano pour ses amis. La scénographie, très belle et adaptée aux personnes handicapées, nous le présente comme un familier, un membre de la famille, avec des chansons, célèbres ou confidentielles, diffusées en boucle : atmosphère intime et surannée. Et c’est bien ça Brassens : un homme qu’on a l’impression d’avoir connu nostalgiquement, un jour.
Le tournant
Féru de cinéma, celui qui est devenu poète presque par dépit nous devient proche : Aristide Bruant du demi-siècle, devenu flâneur des quais et vrai Parisien, il est révélé en 1953 en même temps que Bécaud, sous l’aile bienveillante de Patachou. On s’immerge dans sa bibliothèque, on discourt avec ses amis littéraires (son protecteur de toujours René Fallet, son secrétaire Pierre Onteniente, Prévert, Raymond Devos, Cocteau, Paul Fort, Léautaud, Antoine Pol, Jean Richepin). Ours et ogre, Brassens était lui-même écrivain : on pourra contempler certains de ses écrits, ses livres annotés, et ses publications, dont « La Tour des miracles ». Mais c’est finalement la musique qui le mène au succès, alors qu’à l’instar de Gainsbourg, Brassens songeait qu’elle consistait en une absence de génie. Et pourtant, quelle prodigalité dans la composition chez cet infatigable créatif, inspiré par Charles Trenet !
L’exposition aligne nombre de classeurs remplis, débordant de partitions. La carrière de Brassens coïncide avec l’arrivée en France (grâce à Barclay) des disques microsillons 45 tours et 33 tours, capables d’enregistrer une heure de musique par face au lieu de 3 à 5 minutes pour les 78 tours. Pour souligner l’irruption de l’industrie du disque dans la modernité, des téléphones à cadrans jalonnent l’exposition, par lesquels on peut écouter de nombreux entretiens radiophoniques, où la voix rocailleuse de Brassens explique humblement le rythme, la guitare, la vulgarité, la censure.
Avec lui c’est tout le XXème siècle qui revit : Sartre, Ferré, Greco, les Béart père et fille, Kessel, Piaf, Aznavour, Maurice Chevalier, Gloria Lasso, Barbara, Bobby Lapointe… Ils le connaissaient tous, ce grand timide qui n’aimait pas la scène, refusant toutefois le play-back mais exigeant un prompteur, toujours fidèle en amitié, jamais engagé en amour ni franchement en politique. L’anarchie reste chez lui un état d’esprit : ainsi on pourra contempler l’affiche du concert de soutien à l’abolition de la peine de mort en 1971, ses articles parus dans « Le Libertaire », sa carte électorale toujours vierge aujourd’hui. Un mur de photos nous fait toucher du doigt l’homme, sa vie, ses proches. Il s’en dégage une vague impression de bonheur : bon vivant, bon bouffeur, hédoniste mais non jouisseur compulsif. On n’échappera pas non plus, bien sûr, à la célèbre photo Brassens-Brel-Ferré, prise par Jean-Pierre Leloir en 1969 pour Rock & Folk.
La postérité
Au sous-sol, Sfarr présente en exclusivité l’œuvre graphique qu’il a conçu pour l’exposition, mais aussi le « championnat du monde de Brassens » interprété par différents internautes sur Dailymotion, de nombreux ateliers pour enfants : rébus des jurons, magnets, dessin, décor de studio photo… Sont également mises à disposition des bornes Internet présentant « Brassens autour du monde » le bonhomme ayant durablement influencé d’autres artistes internationaux, lui qui aimait si peu voyager. Enfin l’exposition se termine par la projection du concert à Bobino : massés là, les visiteurs semblent composer une calme communauté bienveillante. On ressort de l’exposition touché et heureux, le cœur un peu plus léger. Un très bon moment à passer, seul ou en famille, pour replonger le nez dans un parfum de violette : qu’on soit fan ou pas, l’homme est un mounment à lui tout seul, et une ode à la vie débonnaire.
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Brassens ou la Liberté
Une proposition de Joann Sfarr
Du 15 mars au 21 août 2011
Du mardi au samedi de 12h à 18h
Dimanche de 10h à 18h
Nocturne les vendredi et samedi jusqu’à 22h
La vente des billets s’arrête 1h avant la fermeture
Adultes : 8 € // Moins de 26 ans : 5 €
Les enfants de moins de 6 ans rentrent gratuitement, sans billet.
Personnes handicapées (et un accompagnateur), chômeurs, bénéficiaires du RSA ou de l’ASP : 4 € // Abonnés de la Cité de la musique : 5,60 € // Abonnés de la Salle Pleyel, Jeunes de 26 à 28 ans, Enseignants du primaire ou secondaire en activité : 6,40 €
Cité de la Musique
221, avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
M° Porte de Pantin
[Visuel : Brassens et ses amis à la plage, été 1942. Brassens est l’avant-dernier. Photo Victor Laville]
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