Fabrice Hyber – Inventions – Galerie Jérôme de Noirmont
Dans l’univers artistique comme dans l’univers scientifique, rien n’est définitif, toute notion établie est immédiatement absorbée, contredite, augmentée ou développée. A l’instar de la nature qu’il définit comme « un fonctionnement », Fabrice Hyber, qui a suivi une classe préparatoire scientifique avant d’entrer aux Beaux-Arts, envisage son art dans le cadre d’une perpétuelle remise en question des notions acquises, avec un raisonnement topologique perpétuel qui intègre son environnement pour proposer de nouvelles recettes, de nouveaux comportements, par des principes de déformation et de transformation.
« L’artiste lui-même doit être l’origine, la source et la justification d’un nouvel état des choses. » (interview de Fabrice Hybert par Catherine Strasser, catalogue de l’exposition à l’Ecole des Beaux-Arts de Caen, juillet 1989)
Comme l’annonçait déjà sa toute première exposition personnelle intitulée « Mutation », les oeuvres d’Hyber sont pensées en amont de leur fabrication, puis créées en se calquant sur des comportements naturels, de glissement, de déplacement, de mutation et d’hybridation. Quand la proposition du scientifique s’établit a posteriori en recoupant les observations et analyses différentes d’un même phénomène, l’oeuvre d’art figure à l’inverse chez Hyber le résultat inconnu à l’avance d’une élaboration basée sur l’indétermination. Comme il y a toujours quelque chose à inventer, chaque tableau est comme un « arrêt sur image » d’une réflexion en cours, très libre, dont ni le vocabulaire, ni la forme, ni la composition ne sont pré-définis.
Dans les nouvelles toiles exposées à la galerie du 9 septembre au 27 octobre, toutes réalisées en 2011, Fabrice Hyber va au delà de la seule mise en place d’inventions dans ses tableaux pour nous donner à voir d’où viennent les inventions, comment celles-ci naissent, souvent à partir d’erreurs auxquelles sont appliqués ces mêmes processus de transformation ; ainsi Impossible, cette toile réalisée à partir d’une orange coupée dont l’artiste a par erreur dessiné les quartiers à l’identique en haut comme en bas, l’obligeant ensuite à trouver une solution pour imaginer la composition autour.
Emmêlé, qui se trouve être la première oeuvre créée de ce groupe, figure le point de départ ou plutôt le fil directeur de cette exposition : c’est un même trait que Hyber a poursuivi jusqu’à la limite du crayon, changeant de couleur quand celle-ci s’épuisait… Alternant pastel, fusain et crayon graphite, l’artiste a ainsi donné naissance à une grande composition abstraite, tel un enchevêtrement multicolore complexe. La composition repose ici sur l’instantanéité et la continuité du geste qui engendre un « état de non-vigilance », état propice à l’apparition libre et incontrôlée d’idées nouvelles.
Autre exemple fort, Topologie infectée résume les théories chères à l’artiste dans une composition visuelle minimale : un quadrillage noir sur blanc dont les lignes verticales et horizontales se décalent tout à coup, l’artiste laissant son esprit vagabonder et se perdre, en oubliant la méthodologie initiale.
Aux côtés de ces deux tableaux « théoriques », figureront d’autres grandes compositions abstraites qui donneront au visiteur dès l’entrée de l’exposition les clés pour appréhender le raisonnement créatif qui donne naissance à toutes ces inventions : Nuancier, patchwork de carrés de couleur composé méthodiquement avec toutes les teintes utilisées dans ce groupe de tableaux, et Le confort moderne, autre appellation chère à l’artiste pour définir ses constructions visuelles… L’artiste part ici d’un dessin de cubes multiples, tous juxtaposés les uns aux autres, chaque cube désignant une vision individuelle avec ses propres perspectives et points de fuite, dont la juxtaposition va pourtant engendrer une construction globale vivante, sans aucun formalisme, créée simplement par des décalages de pensée.
Après ces toiles initiatiques, Hyber nous invite à découvrir ces inventions dans des tableaux qui donnent à voir une prise de conscience des consistances telle que l’évoquait le philosophe Gilles Deleuze qu’il apprécie tant, à savoir celle qui découle d’une production inconsciente ou liée au désir, hors de tout dogmatisme.
Ainsi Exception qui figure une « invention du dessin », un code-barres ou le dessin des cordes d’une harpe composé de tiges verticales avec des trèfles… Partant du bas du tableau, l’artiste a d’abord dessiné un sol de compost, avec des éléments en décomposition, d’où jaillissent des plantes, figurées par des tiges noires feuillues ; assemblées par erreur par 3 au lieu de 2, les feuilles sont devenues des trèfles, dont les tiges émergent aussi de graines. Comme dans la nature, l’artiste y a alors introduit quelques trèfles à 4 feuilles, l’aléa de la chance étant aussi une composante des inventions.
L’écologie mentale à laquelle Fabrice Hyber aspire le pousse à utiliser tous types de matériaux, physiques ou intellectuels, et à s’intéresser à des problématiques très diverses, comme le montrent les « inventions » présentées ici. Les jeux d’association de pensées auxquels se livre l’artiste, croisant une idée avec une autre, nous font passer de la biologie (Tomate recomposée) et de la génétique (Tricéphale, avec des « monstruosités » issues de mutations anatomiques, ou Triple Hélice qui figure un escalier hélicoïdal complexe issu des entrecroisements géométriques de deux structures d’ADN) aux nouvelles attitudes nées des récentes transformations technologiques (la Geek chair pour l’amateur de jeux vidéo) ou économiques (Taba qui imagine de nouveaux types de véhicules qui génèreraient leur propre énergie). Symbole de cette communication transversale, où la chimie organique rejoint à la fois la mécanique des fluides et la parapsychologie, L’Homme de Bessines recomposé fait réapparaître cet homme mutant inventé par l’artiste il y a vingt ans.
L’accrochage des petits tableaux figurant des « concentrés d’inventions » au 1er étage de la galerie est lui-même une invention, conçu spécifiquement par Fabrice Hyber comme un story-board, à l’instar de ses fameuses « Peintures Homéopathiques » où il assemble dessins, écritures et objets pour synthétiser ses pensées et recherches sur un thème. Comme il le fit la 1ère fois lors de l’exposition « Pasteur’ Spirit » puis sur le stand de la galerie à la FIAC 2010, l’artiste présente ici les tableaux juxtaposés bord à bord dans un accrochage serré qui couvre les murs, avec des interstices parfois dessinés qui mettent en avant les connexions et associations d’idées qui permettent de passer d’un tableau à l’autre, d’une invention à l’autre, nous offrant à voir une organisation mentale en perpétuelle mutation par la seule prolifération de la pensée.
Toutes les nouvelles toiles exposées ici sont réalisées dans une palette vive et multicolore, « car les couleurs rendent lisibles », avec des techniques mixtes mêlant dessin, collage, peinture ; invention créée exclusivement pour l’artiste, la résine Epoxy apposée en couche finale révèle les différentes strates du tableau par transparence et brillance.
Ces effets esthétiques renforcent l’effet positif et dionysiaque de ces oeuvres qui ouvrent de nouvelles perspectives, de nouveaux comportements, pour un devenir de l’humanité où l’artiste atteste d’un pouvoir d’invention aussi dynamique que celui du scientifique.
Galerie Jérôme de Noirmont
38, avenue Matignon – 75008 Paris
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