Process(ing) – Galerie Perrotin
Ici, l’instant photographique est doublé – parfois remplacé – par une série de manipulations, d’interventions matérielles et expérimentations techniques qui transforment l’immédiateté de la photographie en l’enregistrement de ses procédés de fabrication. Non sans évoquer la peinture ou la sculpture, la photographie révèle ici les traces visibles de ses processus formels.
Ellen Carey (1952, USA, vit et travaille à Hartford, CT & New York) réduit la photographie à son plus petit dénominateur en substituant à la nécessité de « prendre » une photo le désir de faire une image. Dans sa série de monochromes et de multichromes, elle utilise et dépasse les fonctions principales de son Polaroid 20×24 inch, en en altérant les pods de couleur afin de mieux les bloquer ou les mélanger et produire ainsi des effets chromatiques, traces même de ses interventions – une procédure qu’elle accentue par la séparation des positifs et des négatifs de ses images.
Si Ellen Carey manipule le pigment du Polaroid pour élaborer des compositions picturales, Mariah Robertson (1975, vit et travaille à Brooklyn) s’empare avec irrévérence parfois, des techniques photographiques traditionnelles. Le papier photosensible fonctionne comme une matrice, sur laquelle viennent s’imprimer résidus d’objets et de photographies. Déployé en une vaste installation sculpturale, il révèle à la fois un récit autonome et l’histoire des différentes étapes de sa fabrication.
James Welling (1951, vit et travaille à Los Angeles) saisit la matière essentielle de la photographie – la lumière – provoquant des abstractions denses et énigmatiques. Dans les séries «Mysteries» et «Degrades», l’artiste utilise le temps d’exposition comme un pinceau et dévoile les gradations tonales jusqu’à leur donner une dimension fugitive et spectrale. Dans ses photogrammes «Screen», un rétroprojecteur projette de la lumière sur un écran en fibre de verre, dont les ombres capturées, laissent des incisions délicates du grain et de la texture sur la surface de la photographie, rendant la lumière palpable.
Jason Loebs (1981, vit et travaille à New York) et Corin Hewitt (1971, Burlington, USA, vit et travaille à Brooklyn) achèvent encore un peu plus la dissociation entre photographie et appareil photographique en subvertissant la fonction mimétique d’un dispositif technologique, le scanner en instrument photographique. A travers des images qui enregistrent littéralement le dernier souffle d’un procédé de représentation, Jason Loebs documente la destruction à la fois de l’image et de l’appareil manufacturé. Il verse de l’eau sur un scanner, puis imprime les effets visuels de la destruction progressive de la machine. Les derniers scans de la machine sont exposées en une sorte d’épitaphe de son dysfonctionnement programmé. Glissées dans des pochettes plastiques, ces cadavres insolites apparaissent comme des allégories de la mort de l’image.
Si Loebs suggère une forme d’entropie inversée en montrant la fragilité et l’impuissance d’un instrument mécanique, voire la futilité de l’entreprise même de représentation, Corin Hewitt s’approprie le même outil afin d’enregistrer un processus naturel de décomposition , qui engendre paradoxalement une régénération visuelle permanente.
Dans ses monochromes stratifiés, la roche, la poussière et la terre sont scannées et compressées en une image numérique monochrome. Exhumée, scannée et imprimée, l’épreuve physiquement compostée après avoir été enterrée, évoque des motifs/apparitions organiques et lunaires. A l’image du cycle naturel de création et de destruction, les photographies de Hewitt s’intègrent à un processus continu, produit de diverses performances. Lors de « Seed Stage » au Whitney Museum en 2008, l’artiste sculptait ainsi des matériaux périssables – plantes, aliments… Rappelant la tradition des vanités, Hewitt observe la mutation des objets à l’épreuve du temps et au rythme de ses interventions physiques, offrant ainsi un aperçu de l’impermanence – qui caractérise aussi l’image photographique. Par un perpétuel état de fugacité, les œuvres présentées nous rappellent que le procédé photographique est aussi bien procédure technique qu’expérience cognitive.
Galerie Perrotin
76, rue de Turenne
75003 Paris
[Visuel : James Welling, Degrade IMPR, 2005. C-print. 95,7 x 84,4 cm]
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