Gisèle Vienne – This is how you will disappear – Centre Pompidou
Gymnaste, malléable mentalement comme physiquement dans une extrême désarticulation du corps, contrôlée, scandée, dominée, la femme cherche à plaire, en une quête de perfection pathétique et touchante. Touchante : nous y sommes : on pourrait qualifier l’atmosphère de cette pièce de Gisèle Vienne de « mélotragique » : des sentiments, un jeu psychologique malsain et fascinant entre deux êtres qui s’aiment et se nuisent, mais loin du drame, orchestrée plutôt dans une montée en puissance du mal qui doit nécessairement se produire.
Forces fumées imprègnent alors la scène, devenue autel d’un rituel morbide, et qui palpite aussi par la vigueur musicale contemporaine de guitares saturées. Discussions absurdes, évocatrices des méandres de l’inconscient ravagé, entre deux hommes, mais sans parvenir à définir pour autant lequel est le bourreau de l’autre. Le sens advient de nouveau, mais par bribes, décousues, translucides. Il se fait déroute. Cette fille qui était trop parfaite, et, elle qui voulait l’être, fut tuée car on aurait risqué de s’attacher à sa figure iconique. Qui aime bien châtie bien, dit-on. Or, le point fort parmi tant d’autres —son, gestuelle, parole utilisée en instrument de musique macabre —, réside en la scénographie : cette forêt virtuelle de symboles, où des séquences somptueusement lentes apparaissent et disparaissent dans les volutes de fumées.
Des oiseaux, un faucon et la chouette de Minerve (qui ne prend son envol qu’à la nuit tombée, pour Hegel, pour mieux dévoiler le sens de l’histoire) illuminent la pièce d’une lueur noire, d’une poésie tragique auquel le spectateur est acculé. Pétrifié. Haletant. Fasciné. Car la force magistrale de Gisèle Vienne consiste bien en ceci : parvenir à rendre la grâce obscure de nos sentiments les plus immondes, les plus égoïstes, les plus honteux, les plus enfouis. Rien d’autre que le principe du Sublime. De quoi habiller nos nuits de sombres cauchemars, dont l’entêtement volatile tient paradoxalement dans la mémoire écorchée au passage. Brillant.
Bérengère Alfort
This is how you will disappear
Conception, mise en scène, chorégraphie et scénographie : Gisèle Vienne
Création musicale, interprétation et diffusion live : Stephen O’Malley et Peter Rehberg
Texte et paroles de la chanson : Dennis Cooper
Lumière : Patrick Riou
Sculpture de brume : Fujiko Nakaya
Vidéo : Shiro Takatani
Créé en collaboration avec, et interprété par : Jonathan Capdevielle, Margrét Sara Gudjónsdóttir et Jonathan Schatz
Du 20 au 22 avril 2011
Centre national d’art et de culture Georges Pompidou
Centre Pompidou – Grande salle
www.centrepompidou.fr/spectacles
[Visuel : This is how you will disappear (création 2010) . Conception : Gisèle Vienne . Interprètes sur la photographie: Jonathan Capdevielle et Margrét Sara Gudjónsdóttir. Photographe: Silveri. © DACM]
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...