James Thierrée – Raoul
Sans mots, ou si peu, James Thierrée plonge la salle (comble, comme toujours) au cœur d’un univers sans égal et sans nom, si ce n’est celui que portent le spectacle et son unique personnage : Raoul. C’est du moins ainsi qu’il s’appelle et s’interpelle lorsqu’au fond de lui-même il se cherche pour se trouver en lui, parfois, et dans les regards du spectateur sur son royaume intérieur, toujours. Il pourrait cependant très bien porter n’importe quel autre nom, et puis oui, même le vôtre. Allégorie de tous les possibles, Raoul, le personnage et son univers, est double en lui. Et bien plus en vous, spectateurs, tellement la marge d’interprétation est infinie.
Raoul est donc le seul fil directeur mais fragile dans un monde anarchique, imprévisible, ou absolument tout peut arriver : crier (sur) des notes de violon, se battre à la manière du narrateur anonyme de fight club, trembler avec les parois fragiles de sa propre tour, chuter du haut de cette même tour au ralenti, dormir debout allongé sur un mur, voler, s’encadrer et s’accrocher, ou encore danser avec un champignon virevoltant. Et tellement plus encore. Tout, du dicible à l’indicible, peut se matérialiser devant vos yeux, faire ainsi éclater vos sourires en rires puis, sans même prévenir, en larmes. Oui, absolument tout peut arriver.
Et pour cela, James Thierée invoque la musique, le mime, le théâtre, l’art du cirque et de la danse, et même quelque-chose d’assez proche du cinquième art tellement la mise en scène est grandiose et les effets, spéciaux. Pourtant, seuls les ressorts et les mécanismes du spectacle vivant, dans toute sa noblesse, sont exploités, dévoilés et magnifiés au point de devenir en eux-mêmes des éléments scéniques.
Le décor est aussi somptueux que le théâtre qui l’a vu naître (Théâtre royal de Namur, Belgique). Mais obscure, fragile, vétuste, poussiéreux et croulant, aussi. Le spectateur pourrait se croire chez Emmaüs si Raoul n’échappait à toute catégorisation spatiale et temporelle. Son univers, entouré de voiles usées et rapiécées, donne l’impression d’être au bord de l’effondrement, à chaque instant. Jamais pourtant il ne s’effondre, au contraire : sa fragilité semble devenir la pierre angulaire du processus déjanté de création.
C’est un véritable vent de liberté, de folie et de pure poésie que cet artisan de la scène peut faire souffler sur vos visages émerveillés, inventant ainsi un monde tout en réinventant le vôtre.
Lydie Mushamalirwa
Raoul
Mise en scène, scénographie et interprétation : James Thierrée
Du 27 au 29 janvier 2011
Théâtre André Malraux
92500 Rueil-Malmaison
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