Bérénice d’après Bérénice – Théâtre de la Bastille
Le spectateur amoureux de Racine redoute toujours un peu les productions qui se revendiquent modernes : qu’en sera-t-il de la poésie de l’œuvre, du rythme sacré de l’alexandrin qui, à lui tout seul, est le personnage principal de la pièce, l’architecture sur laquelle reposent les comédiens, le souffle de leur parole, la vibration de leurs passions ? Que l’amoureux du vers racinien se rassure : si Gwenaël Morin a choisi de réduire le texte pour n’en garder que la substantifique moelle (Bérénice en 1h30, il fallait le faire), il a surtout su diriger ses comédiens pour que ceux-ci s’inspirent de l’alexandrin plutôt que de le tordre.
Et quelle inspiration… qui tourne à la respiration, au souffle essentiel qui est bien le cœur de la pièce ici présentée. Bérénice, c’est la tragédie du silence, quand les mots ne comptent plus par leur sens mais par l’immense poids des non-dits qu’ils véhiculent, quand Bérénice, Titus et Antiochus, déchirés par leurs amours impossibles, n’ont plus rien à se dire. Si Morin a choisi de résumer chacun de ces trois personnages par des mots inscrits sur une toile blanche – entre autres : amour et royaume pour Bérénice, gloire et empire pour Titus, exil et silence pour Antiochus –, il a surtout su toucher à cette part d’indicible où se cache le génie de Racine. Quand tout est dit entre les protagonistes, ne restent que le silence, et la douleur du soupir, cet « hélas » que les comédiens ponctuent du tintement d’une cymbale dès qu’il est prononcé. Ressort comique, bien sûr, mais surtout, aveu de l’impuissance du triangle amoureux.
Explosion de folie
Barbara Jung incarne une digne reine bafouée par l’homme qu’elle aime. Grégoire Monsaingeon exprime avec une justesse troublante les oscillations de Titus entre courage de l’homme d’état et lâcheté de l’amoureux. Quant à Julian Eggerickx, il campe un Antiochus à la fois noble et veule, incapable de se substituer à Titus dans le coeur de la reine palestinienne, malgré ses efforts. Au milieu de ce trio incapable de se comprendre, Ulysse Pujo interprète à lui seul les trois confidents, point de repère mouvant de trois êtres perdus – et qui finissent par crier leur impuissance dans une explosion de folie, devenant polyglottes pour essayer enfin de se comprendre – en vain.
Il fallait oser, oui. Et heureusement, Gwenaël Morin a eu le culot de dépouiller Bérénice de ses atours pour l’offrir, à vif, à la salle comble du Théâtre de la Bastille, qui ne s’y est pas trompée. Cette Bérénice ne respire pas la jouissance folle qui transpirait du Tartuffe présenté en octobre, mais impossible de ne pas saisir, derrière la mise en scène dépouillée de cette production, la quintessence de ces trois personnages dont le désespoir touche à la grâce.
Audrey Chaix
enjoy the theatre
Bérénice d’après Bérénice
Texte de Jean Racine
Mise en scène de Gwenaël Morin
Avec Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Julian Eggerickx, Ulysse Pujo
Du 2 au 27 novembre 2010
A 19h30, le dimanche à 15h30
Relâches les 7, 11 et 15 novembre
Tarifs : de 13 € à 22 €
Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75011 Paris
M° Bastille
[Visuel : © Pierre Grosbois]
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