Carmen Maura – interview
En V.O. comme en V.F., Carmen Maura est une voix unique, paisible quoique frondeuse, de la grande chorale, parfois un peu cacophonique, du cinéma sans frontières. Et pas seulement des deux côtés des Pyrénées. Marraine, cette année, de la 32e édition de Cinemed – qui s’achève ce dernier week-end d’octobre à Montpellier – comment ne pas entendre derrière cette fonction emblématique le titre tout aussi souverain de… « Ma reine » ? Au naturel, tandis qu’une rétrospective lui rend hommage, la belle Ibère en a le maintien, le port de tête – impeccables – mais encore la franchise sereine et colorée, comme libérée de toute peur, de toute vanité.
En clair et sans décodeur, mais avec cet accent subtilement subversif, celle qui a effectivement joué dans Reinas (en 2005)… témoigne, dans son parcours et dans son regard braisé, d’une assurance royale ! De fait, à 65 ans, l’ex-brune brûlante des premières comédies déjantées de Pedro Almodovar, récompensée par un prix (collectif) d’interprétation féminine à Cannes pour Volver en 2006, n’a pas fini de faire parler. 2011, ainsi, promet une nouvelle salve de comédies, dont Les femmes du 6e étage, du Français Philippe Le Guay (sortie en salle en février), qu’elle a présentée en avant-première, très applaudie par le public « caliente » de Montpellier. Aïe Carmen… Écoutons-la commenter, rebondir, suggérer, deviser. Sans fard et sans sous-titres…
Pedro (les débuts)
« Quand j’ai tourné dans Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, notre premier film (sorti en 1980), les gens ne me parlaient pas de ça, comme si c’était un vice ! Et ce silence, ça a duré plusieurs années ! A l’époque, j’avais déjà fait pas mal de choses. Du café théâtre, avec des titres de pièces impossibles (rires), mais aussi des rôles au Théâtre national. Mais je n’ai jamais été très préoccupée par ma carrière… Almodovar, c’était ce qui m’amusait le plus, alors. Et puis, à ce moment-là, ma vie était compliquée… Bon, de toute façon, le tournage a duré plus de deux ans. Et la moitié d’entre-nous pensait que ça ne sortirait jamais au cinéma ! »
Pedro (aujourd’hui)
« On a fait six films ensemble, puis plus rien pendant 17 ans, je crois qu’on en avait marre tousles deux ! Un jour, à une fête, il m’a donné un morceau de mur de Berlin, mais on s’est juste dit “bonjour”. Et puis, après, il m’a appelé pour Volver. C’était un rôle spécial, un rôle de fantôme, mais finalement… Cela a été le rôle le plus facile de ma vie ! Je sais parfaitement en quoi consiste l’univers de Pedro, je n’ai pas oublié ! Le film a été un grand succès, il a eu beaucoup de prix… Mais ça me faisait rire, aussi, je me souvenais du Pedro de Pepi… Avant, il était toujours très content, il avait beaucoup d’amis, un petit groupe de fans à Madrid. Aujourd’hui, sa vie est plus compliquée. Il y a un poids très lourd sur lui. »
Pedro et les autres
« Pedro a une personnalité très forte. C’est vrai qu’il a ouvert plein de portes, en Espagne. Mais c’est vrai, aussi, que l’on a d’autres réalisateurs formidables ! Moi, mon préféré, c’est Alex de la Iglesia. J’ai tourné Mes chers voisins avec lui, je le comprends très bien. Il doit peut-être faire attention, car il est un peu fou… »
Popularité
« Dans un moment de ma vie, j’ai été présentatrice d’une émission à la télé, en Espagne. Une émission très populaire. Encore aujourd’hui. D’ailleurs, les enfants d’hier, qui la regardaient, sont devenus réalisateurs, enfin certains… Du coup, ils me proposent des choses, c’est bien ! Et puis, j’ai tourné, récemment, dans l’adaptation espagnole d’une série américaine très populaire elle aussi, The golden girls. C’est à nouveau un gros succès à la télé espagnole, en ce moment… C’est pour ça que j’adore mon petit appartement parisien, dans le Marais. Je suis tellement tranquille, il est petit mais plein de soleil, c’est important. Et puis, à Paris, je peux aller seule au cinéma, ce n’est pas la même chose qu’en Espagne. »
Films français
« En ce moment, je tourne dans un premier film, à Paris. J’aime beaucoup les premiers films ! Le jeune réalisateur s’appelle Mikaël Buch, il a une mère marocaine-française, un père argentin, il est né à Taïwan et il a été éduqué à Barcelone ! On s’entend très bien ! Il voulait absolument que je fasse ce rôle, c’est une comédie très forte, avec Amira Casar et Jean-François Stévenin, elle s’appellera Let my people go, il faudra en parler au moment de sa sortie, hein… Sinon, il y a le film de Philippe, Les femmes du 6e étage, sur ces femmes espagnoles qui sont venues dans les années 60, en France, pour travailler comme bonnes. J’ai été très émue par l’accueil du public, à Montpellier. Et puis ça m’a touchée, la délicatesse de Philippe, voir comment il a traité ce sujet. J’avais peur que le film soit folklorique, et puis pas du tout ! C’est un regard très généreux, et ça finit bien, c’est une comédie… »
Francis Coppola, l’Amérique du Sud
« J’ai pas mal travaillé en Amérique du Sud, au Costa-Rica, au Mexique, au Vénézuela… En Argentine, j’ai même fait du théâtre. Les Argentins, en Amérique du Sud, c’est un peu comme les Français en Europe, ils se prennent pour les meilleurs (rires) ! Quand on m’a contactée pour le tournage de Tetro, de Francis Coppola, justement en Argentine, c’était pour un rôle de substitution, ça s’est donc passé très vite, je n’ai pas pu réfléchir. Sur le plateau, il y avait une mauvaise ambiance entre Coppola, les syndicats et la presse, en fait il est venu tourner là-bas parce que c’est moins cher… Mais moi, ma relation avec lui a été formidable ! Je crois, tout simplement, qu’il faut se faire respecter… »
Demain
« Ce que je veux, maintenant, c’est m’amuser et me surprendre. Je suis arrivée beaucoup plus loin que je ne le pensais. C’est pour ça que je suis très tranquille par rapport à ce métier… Il faut être calme, de toute façon ! »
Propos recueillis par Ariane Allard
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