François d’Assise – Théâtre Artistic Athévains
Delteil sort François d’Assise de sa célébrité catholique pour en faire non plus un saint mais un exemple à suivre pour le croyant comme pour l’athée. Rien d’étonnant, il est entre les mains d’un écrivain iconoclaste, un « paysan-écrivain » ayant fuit la vie parisienne après avoir été salué par Breton et Aragon comme un créancier de « tant de Diables au corps » (cf le rejet des surréalistes pour l’œuvre de Raymond Radiguet) en publiant en 1922 son premier roman « Sur le fleuve Amour ». Pour faire bref on aime un temps puis on déteste ! Delteil se voit ainsi conspué par Breton après la publication en 1925 de « Jeanne d’Arc » qualifiée de « vaste saloperie » par ce dernier. Las de la vie parisienne et suite à une grave maladie il quitte la littérature et Paris pour goûter les saveurs d’une vie rurale à la tuilerie de Massane avec sa femme Caroline Dudley qui fut la créatrice de la revue nègre. Atypique parcours de cet écrivain liant des amitiés « ad mortem » avec certains (l’écrivain Henri Miller, le poète Frédéric Jacques Temple, les chanteurs Charles Trenet et Georges Brassens, le peintre Pierre Soulages, le comédien Jean-Claude Drouot, le journaliste Jacques Chancel, l’écrivain Jean Louis Bory ou bien encore le documentariste Jean-Marie Drot ) venant confirmer autant son génie créateur que sa soif de provocation comme un désir de construction et de sauvegarde de l’authentique, du grégaire même en réinventant sa propre cuisine paléolithique.
Rien d’étonnant donc à ce que Joseph Delteil donne comme titre à son texte « François d’Assise » plutôt que « Saint François d’Assise ». C’est selon lui à la portée de quiconque parce que dit-il « chacun d’entre nous peut devenir ce personnage sans pour autant être un saint ! » De prime abord , on comprend que ce spectacle singulier n’est pas un hommage rendu à un saint d’éphéméride, même s’il s’agit bien de lui ! Effectivement, avant que l’Eglise de Rome ne le canonise, François, les pieds sur terre, la tête dans les étoiles et le cœur attentif à autrui, est mis face à l’évidence de la richesse dans la famille dans laquelle il naît. C’est un motif originel au détachement dont il fera son « credo » par la suite. Au figuré comme au propre… il va se mettre dans son plus simple apparat. Le François d’Assise de Delteil est un contemporain laïque face aux grattes ciels aux paysages urbains ne cherchant que la reconquête de la nature, du bruit de l’eau, de l’odeur du foin coupé, du chant des oiseaux.
On ne demeure pas « Gros-Jean comme devant » et loin s’en faut face à la mise en scène d’Adel Akim qui dans un lieu clos sur une scène de théâtre ressuscite ou plutôt donne vie au héros Deltheillein avec des épis de blés en tapis mécanique, une pleine lune sous 500 watts et une lumière maîtrisée capable d’habiller la nudité du comédien, le livrer à nous avide d’espace, de grand air, de fleurs pour exister, exulter et communier dans l’osmose du publique imprégné autant que dans celle de l’écriture théâtrale.
Robert Bouvier comédien et directeur du théâtre de Neufchâtel (Suisse) qui joue là François d’Assise au Théâtre Artistic Athévains après en avoir adapté le texte original avec Adel Hakim apparaît autant pétri d’émotion que réactif de toutes ses acuités sensorielles, il fusionne littéralement avec la main angélique de Joseph Delteil fourmillante et abreuvante, de ses brossages lumineux, transpirant d’autant de pigments adjectivaux percutants de gourmandise. Le comédien d’origine suisse s’offre et se donne tout entier, se prostitue au meilleur sens du terme pour servir le chemin d’esprit et d’humanité de François d’Assise (et de sainte Claire !) comme candide seconde après seconde du rayonnement de leur vie. Depuis plus de quinze ans comme un pèlerin , un colporteur d’amour infatigable, Robert Bouvier fait voyager cette œuvre, la trempe aux atmosphères des voyages et des scènes comme pour se persuader tel un cartésien qu ‘elle n’est pas magique, sans pouvoir s’expliquer pour autant l’étrange conséquence du bonheur qu’elle fait naitre toujours et partout. Souvent il vient à l’issue du spectacle avec des allures de jeune homme, un sourire nourri augmenté d’un regard véhiculé vers les astres pour nous révéler comment ce « François » Deltheillein parle si bien d’amour. L’ordre Franciscain, dans cette messe du comédien après le spectacle, entendra ainsi son message renouvelé tel qu’en l’amour de la nature et le regard tourné vers les plus pauvres, des devoirs humains indémodables transcendant l’idée même de foi.
Francois d’Assise nous emmène aux confins de l’indicible étouffé par l’orgueil en ouvrant nos cœurs à l’amour, nos yeux à l’adoration, nos corps à l’extase comme la philosophie d’une vie, la meilleure que l’on puisse vivre comme voulue par Joseph Delteil.
Yves-Alexandre Julien
François d’Assise
Adaptation théâtrale du roman de Joseph Delteil.
Version scénique : Adel Hakim et Robert Bouvier
Mise en scène : Adel Hakim
Assistante à la mise en scène : Nathalie Jeannet
Jeu : Robert Bouvier
Scénographie : Yves Collet (en collaboration avec Michel Bruguière)
Lumières : Ludovic Buter
Son : Christophe Bollmann
Jusqu’au 11 juillet 2010
Le mardi à 20 h, mercredi et jeudi à 19 h, vendredi et samedi à 20 h 30 ; samedi et dimanche à 16 h.
Location : 01 43 56 38 32.
Théâtre Artistic Athévains
45 rue Richard Lenoir
75011 Paris
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