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Cannes en direct – La bonne carte

20 mai 2010
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En être ou pas. C’est, grosso modo, le leitmotiv du festivalier moyen. Sans arrêt au bord de la crise de nerfs, moins les couleurs chatoyantes d’Almodovar ; toujours à bout de souffle, moins l’énergique modernité (alors) de Godard. Spécialement en cette fin de manifestation. La galère ? Non pas (toujours se rappeler que dehors il fait froid) ! Mais le galon sur l’épaulette (ou le sésame dans la poche), oui da ! Allez, en guise de référence mimétique pour l’ambiance, optons plutôt pour “Le meilleur des mondes”, celui qu’Aldous Huxley avait anticipé dès 1932, et dont le Festival de Cannes offre, parfois, une synthèse saisissante ! De fait, ici, à peu près personne n’échangerait sa place (l’ivresse des sommets sans doute), même si elle reste dûment circonscrite, rarement négociable, encore moins interchangeable… A prendre ou à laisser. Que ce soit dans les fêtes ou au Palais.


Avoir la carte


Voyons du côté des journalistes, par exemple : aujourd’hui comme hier, 4000 et quelque à canaliser (et contenter) au quotidien, sur un périmètre aussi réduit que convoité, ça peut  ressembler à une gageure, en tout cas relever du casse-tête, sinon du désordre programmé pour les organisateurs. En effet. Du coup, chaque projection et chaque conférence de presse permet à nombre d’entre eux d’apprivoiser, un peu plus que d’autres, les notions de temps et d’anticipation… Selon la couleur de sa carte d’accréditation.


Confer l’étonnante gymnastique autour du film de Ken Loach, “Route Irish” mercredi et jeudi. D’abord projeté dans une salle à capacité réduite (650 places), clairement à destination des cartes prioritaires (blanches et  roses pastille, des codes accessibles même aux plus daltoniens des agents de sécurité déployés à l’entrée), sa projection officielle a finalement (quoique discrètement) été ouverte, jeudi, aux exclus de la première salve. C’est dire si en plus d’avoir la rétine avisée, le critique de ciné se doit d’avoir l’oreille aiguisée…

On récapitule : carte blanche – le top – tu tutoies les étoiles (si tu travailles à Canal +, partenaire du Festival, ça aide) et tu passes royalement devant tes petits camarades, même au dernier moment. Carte jaune – le bas de l’échelle – tu envisages sérieusement de louer une tente pour pouvoir dormir plus facilement dans la file d’attente, et tu ne rêves même pas d’interviewer en “live” Oliver Stone ou Woody Allen (carte bleue pour “Artistik Rezo”, carte intermédiaire, mais pugnace et motivée, oh yeah !). Selon l’ancienneté, la notoriété et la périodicité du média, les alpha, bêta, gamma, delta et epsilon de la cinéphilie errent donc de films en rencontres, de déceptions en jouissances, d’émeutes (ça arrive) en récompenses, profitant de ce petit séjour cannois pour méditer sur la postérité d’au moins deux des éléments de la devise républicaine en France : égalité et fraternité…


Nulle amertume pour autant : au vu du nombre de professionnels, 25 000, qui convergent chaque année vers la Croisette, le système a forcément quelques vertus. Par exemple de réactualiser l’expression “avoir la carte” (une couleur s’est ajoutée en 2009, Orange…).. Egalement de donner du travail aux imprimeurs (les invitations font florès, indispensables de toute façon pour la fameuse montée des marches, celle de 19h comme celle de 22h, tenue de soirée à la clé). Et enfin de faire parler : au-delà des agacements, voire des découragements, ça marche ! Mieux, l’ultime bénéfice (pervers) de cette organisation à plusieurs vitesses, c’est qu’un refus ici peut déboucher sur une découverte ailleurs. Alléluia ! Grâce en soit rendue à la multiplicité des propositions. Évidemment…


Contrebande


Car il n’y a pas que les journalistes, ni les acheteurs, ni les institutionnels, qui empruntent ce drôle de gymkhana. Il y a, aussi, les cinéastes et leurs films. Une autre façon d’exprimer cette hiérarchie “à la carte” et au buzz. Avec, souvent, dès lors que l’on s’échappe du “main stream” – disons de la compèt’ officielle – un petit supplément d’âme. Entendez d’émotion et de larmes. Au coeur du cinéma, au fond. Pour preuve, et en premier lieu, la sélection toujours officielle mais dénommée “Un certain regard” : celle-là même qui défriche sinon la terre de contrebande – Godard et Oliveira ne sont pas exactement des laboureurs marginaux – en tout cas, souvent, les premières et deuxièmes œuvres de talents prometteurs.


Cannes 2010, dans ce registre, devra se souvenir, au moins, de l’ovation accordée aux “Amours imaginaires” du jeune prodige canadien, Xavier Dolan, cinéaste d’une grande fraîcheur dont on entendra forcément parler à l’avenir, et qui fut découvert l’an passé… à la Quinzaine des réalisateurs, tiens donc (sélection parallèle créée, avec bruits, fureurs et ardeurs, au lendemain de mai 1968). Une Quinzaine, qui, cette année, a eu l’aplomb joli d’affirmer sa fièvre rock’n’roll avec l’illustre Mick Jagger en “live” – toujours frais et lippu le sexy sexa – tout en proposant des temps forts autrement plus… alternatifs. Par exemple, les sanglots longs et touchants du réalisateur kirghize Aktan Arym Kubat, après l’accueil sensible et chaleureux fait à son film “Svet-Ake”. Qui sait, la (bonne) carte lui pend peut-être désormais au nez, hé, hé ?


Idem pour la Semaine de la critique, qui fête ses 49 ans cette année – belle maturité – en invitant mardi soir un improbable (a priori) photographe au look punk dénommé JR, auteur d’un documentaire formidable de générosité, d’espoir et d’esprit de lutte, “Women are heroes”. Et qui clôture ses réjouissances, ce jeudi soir, avec les courts métrages de deux des comédiens américains les plus “hype” du moment, Kirsten Dunst et James Franco, en leur présence (c’est dire si, là encore, les files d’attentes, pas seulement ouvertes à la presse, d’ailleurs, vont être très très fréquentées). En être ou pas, telle est définitivement la question ?


Oui, avec aussi cette autre interrogation “fondamentale” (le temps de Cannes, en tout cas) : que vient donc faire  le film assez efficace mais si peu novateur de Doug Liman, “Fair game”, en compétition cette année ? Un politesse accordée à son acteur principal, Sean Penn (absent ce jeudi, pourtant), l’ex-président du jury de la cuvée 2008… qui récompensa, alors, “Entre les murs”, cet ovni français ? Cartes et diplomatie… telle pourrait être…définitivement la réponse, au fond. Non ?


Ariane Allard

 

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