Marko Velk à la galerie Eric Mircher
Le dessin comme outil de questionnement
Sur terre, une loi physique simple parvient à définir aux incertitudes expérimentales près, les conditions de la chute libre d’un corps dans l’espace. La vitesse, la trajectoire ainsi que le point de chute sont déterminés par une équation qui rend le développement de l’action prévisible. Aucune surprise n’est possible car en fait, tout est réglé par la relation qui relie l’accélération du champ de pesanteur terrestre, la hauteur par rapport au sol du corps concerné et le temps de la chute. Ce ballet est organisé et sans appel ; l’attraction terrestre est une constante à laquelle on ne peut échapper.
Dans un monde déjà si merveilleux de par les lois physiques qui le définissent, l’imagination des artistes doit combattre pour rivaliser avec ces lois qui sont en fait des énigmes. Marko Velk construit ainsi avec acharnement et constance, dans des séries de dessins, des propositions qui remettent en cause les fondements de ce que nous savons. Chez lui, les sujets flottent dans l’espace du papier ou se préparent à chuter, des équilibres instables sont en train de se rompre, des créatures hybrides sont les acteurs d’une comédie humaine et en noir et blanc, un théâtre d’ombre et de lumière se dessine à coups de traits jetés avec vivacité. Il est sans doute question dans cette mise en scène de vie, de mort et de sexe, d’anges et de démons. Les séquences d’un rêve ou d’un cauchemar semblent défiler devant nous à la vitesse de la lumière ; à nous de saisir dans la succession des images une logique pour expliquer les règles de la chorégraphie proposée. Il nous appartient de reconstituer le sens de ce qui relie, dans le désordre de notre perception, la présence de toutes ces figures emblématiques. Quelles conclusions tirer de la réunion de ce tapir et d’un chasseur qui se met en joue, de ce reptile préhistorique et de cette silhouette humaine, de ce visage simiesque et menaçant face à cette nativité ou encore de ces figures humaines émergeant d’une obscurité de velours ? S’agit-il là d’une version d’un traité d’histoire naturelle remettant en cause les schémas de l’hominisation, ou d’un catalogue revisitant les scènes de la science des rêves ?
Le dessin, en tant que système de représentation, a le pouvoir de mettre en dérive la pensée du spectateur. La radicalité de la technique nous met de plain-pied avec les intentions du créateur, et il se joue là, une partition où les projections de l’inconscient de l’artiste affluent comme des évidences. Nous parvenons donc à croire, car c’est l’image qui nous fascine, que la pesanteur est toute relative, que des fantasmagories ont autant de fondement que la raison, que l’espèce humaine n’est peut-être pas définie que par une grille génétique. Mais, ce n’est pas n’importe quel dessin qui peut produire cet effet, il faut qu’y soit ajoutée cette part indéfinissable qui transcende la représentation et l’élève en énigme. Le dessin chez Marko Velk est à ce niveau d’exigence pas seulement sur le terrain de la virtuosité technique, ce serait d’ailleurs faire un contresens et le dévaloriser en ne retenant que cette facette, son habileté se situe sur un autre registre, celui de la pensée et de sa puissance d’évocation et de questionnement.
JP. Plundr
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