Fabrice Luchini – « La culture, c’est la seule réponse à la mort »
Fabrice Luchini – « La culture, c’est la seule réponse à la mort » |
Incroyable : Fabrice Luchini ne se contente plus d’être acteur, il y a maintenant quelqu’un pour jouer son rôle. Olivier Sauton raconte une rencontre imaginaire entre lui et l’acteur dans «Fabrice Luchini et moi» au Théâtre de l’Archipel. C’est l’occasion de redécourvir le personnage : drôle, grave et sobre, mais surtout son interview, où il reste égal à lui-même. Prolixe mais ébouriffant.
Luchini jugulé, Luchini apprivoisé, mais Luchini bonifié. Voire libéré… Pour sûr, cette allusion au fameux discours du grand Charles flatterait sacrément l’oreille de l’aimable dandy s’il venait à l’entendre. Lui qui, entre deux citations de Nietzsche ou de Céline, se présente comme un « gaulliste de gauche » en interview ! « D’ailleurs », souligne d’emblée le comédien, dans ce restaurant tamisé au cœur des très beaux quartiers de Paris, « les Mémoires de de Gaulle s’ouvrent sur une citation de Nietzsche. C’est vous dire si derrière la caricature des idéologies se niche la densité des philosophies. A sa manière, sans être intellectuel, le film d’Anne Le Ny parle de cela aussi ! ».
Houla… Chassez le naturel – l’emphase, le coq à l’âne – il revient au galop ? Non, non… C’est juste que dans Les invités de mon père, nouvel opus, donc, de la réalisatrice de Ceux qui restent, Fabrice Luchini, finement dirigé, n’a jamais semblé aussi drôle dans la gravité. Débarrassé de tous ses tics, réservé, épuré. Jugulé et bonifié, on vous disait ! Mais comme ce film traite, par ailleurs et sur un ton idéalement narquois, de « grands sujets sociétaux » tels l’engagement, les sans papiers ou les liens familiaux, ce clown prolixe, qui se délecte de chaque syllabe, et savoure en priorité l’art du contre-pied, celui-là ne peut décidément pas rester mutique longtemps. A table, en effet ! Un œil sur son carpaccio de saumon, un autre sur ses commensaux amusés : Fabrice Luchini s’exalte et exulte, en grand gourmand qu’il a toujours été. Crescendo Première salve, en guise de hors d’œuvre : Anne Le Ny.« Elle dirige par la joie, elle t’entraîne vers des couleurs que tu ne savais pas que tu pouvais donner. Je suis extrêmement ému et fier du film. Il n’y a pas de numéro d’acteur, il y a des acteurs qui deviennent des êtres humains. Mais attention, hein, pas de sentimentalisme bidet comme disait Céline », amorce-t-il en douceur. Avec ce sens du rythme à nul autre pareil. Laurent Terzieff, ascète fiévreux de la scène, ne s’y est pas trompé lorsqu’il a dit à son propos :« Il y a chez lui comme un envahissement de l’être par le verbe ». De fait, après sa mise en bouche vertueuse, le plat de résistance ne pouvait être que roboratif et railleur ! Luchini parlant de la« gauche intello des années 70, 80 », c’est, comment dire, boire un peu plus que du petit lait ! « Ce que j’aimais dans ce film, c’est la fille de ce grand médecin, cette fille sérieusement de gauche… Je connais très bien ce milieu, par mon ex-femme. En fait par le père de mon ex-femme j’ai rencontré Badinter, Stéphane Hessel, Jean Daniel, et tout ce qui tournait autour de la fac de Vincennes : ça m’a passionné tout ça ! Or, ce que j’ai constaté, c’est que quand tu es de gauche, tu n’as pas le droit d’être imparfait ! Tu dois être moins mesquin qu’un homme de droite. En fait, la gauche ne doit pas jouir…», articule-t-il avec ce sourire ineffable, retrouvant dès lors le phrasé et la gestuelle du personnage Luchini que le grand public adore retrouver, sur grand écran ou à la télé, depuis une vingtaine d’années. « Bon, je n’aime pas la droite dans son cynisme, mais en même temps, ce que je n’aime pas dans la gauche, c’est sa leçon de morale. On a le droit d’être un gaulliste de gauche, hein ! Moi je suis pour la liberté de l’initiative, mais aussi pour l’attachement à la redistribution. Je ne veux pas qu’on assiste les gens, mais je ne veux pas qu’on les lâche », s’enflamme-t-il… assez loin du film, pour le coup, mais qu’importe ! Le saltimbanque qu’il demeure, celui-là même qui connaît « pour 8 heures » de textes d’auteurs par cœur et d’affilée – il balance ça entre la poire et le fromage, non sans orgueil – prépare sa chute avec délice. Un véritable dessert : la lecture de « Tombeau pour une touriste blonde », un poème de Philippe Muray, philosophe narquois lui aussi, contempteur brillant des errances de nos vies post-modernes. « La culture, c’est la seule réponse à la mort », assène enfin, en guise de pousse-café-estocade, un Luchini quasi-tribun. Tiens, tiens… « Non, au fond je méprise les hommes politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche ! Je préfère lire Cioran », conclut-il au moment de la digestion et juste avant de s’échapper. Luchini gourmet, Luchini enflammé, mais Luchini avisé, in fine… Ariane Allard |
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