Le Cas Jekyll – Théâtre de Chaillot
Denis Podalydès met ici en scène cette nouvelle adaptation signée par Christine Montalbetti qui insuffle une tonalité ironique et légère au sombre roman, si souvent revisité au cinéma. Et pour cause, la dualité Jekyll/Hyde ne peut qu’être source d’inspiration pour ceux dont le métier tend à ressentir, sentir et vibrer sous le masque d’un personnage, à se projeter donc sous une autre peau. Nous connaissons la jubilation dont témoignent les comédiens lorsqu’ils incarnent un méchant. Denis Podalydès, dont on sent l’appétit et le plaisir du jeu, s’offre ici le luxe d’un glissement subtil, complexe et d’une simplicité formelle lumineuse de Jekyll à Hyde.
Droit au cœur du problème
Nous ne risquons pas l’excès en précisant que Le cas Jekyll est assimilable à un diamant brut. Pour sa forme déjà : la mise en scène de Podalydès est d’une simplicité qui tend à la pureté et exprime toute sa maturité artistique. Toujours concentrée sur l’essentiel, la mise en scène limite les décors à un espace restreint (environ un tiers de la scène) : la chambre de Jekyll dont on devine qu’à ce stade, elle a déjà connu les sauts d’humeurs de Hyde. Une chaise occupe, seule, l’autre côté de la scène dont le fond reste vide, sans le moindre élément de décor. Un fond profond et obscur, inquiétant, presque jamais éclairé. En effet, la lumière ne suit que son héros, ou plutôt ses héros, et la chambre n’est éclairée que lorsqu’elle supporte une fonction utile à la narration. Ainsi isolé, Denis Podalydès donne toute sa dimension au complexe cas Jekyll, le montre dans toute la force de sa posture obsessionnelle. Nous assistons alors à la progression vertigineuse de ce personnage volubile qu’est Jekyll vers son double criminel. Un Jekyll prompt au déni. Il cache ainsi, derrière un prétexte scientifique, la dualité de son être. Et, de fait, ne comprend le danger de sa situation que lorsqu’il est déjà trop tard.
Expérience scientifique à visée morale
La psychanalyse nous a appris à quel point notre identité est complexe. Elle nous a même appris qu’elle est un domaine où la contradiction n’existe pas. Analysé sous l’angle de cette science humaine, un comportement paradoxal selon nos critères socioculturels est parfaitement logique. Ainsi, cette dualité Jekyll/hyde n’est qu’une forme poussée à son paroxysme de nos contradictions quotidiennes. Notre moi, bien élevé, sociable et plein de bonne volonté se rêve volontiers libre de toute entrave et se projette dans une figure fantasmée qui s’offrirait le luxe de l’inconséquence, ouvrant la porte aux pulsions les plus sombres et incontrôlées. Dans un entretien avec Hugues Le Tanneur, Denis Podalydès explique que « Toute la gestation de la créature est une formidable cure psychanalytique dont le terme est la dissociation du bon et ambitieux docteur Jekyll et du terrible et répugnant petit Hyde, concentré pur de toute sa négativité. On pense à la gravure de Goya Le sommeil de la raison engendre des monstres. Le genre fantastique s’apparente à cela : une mise en sommeil de la raison, de l’observation et de l’objectivation du réel, et l’éveil d’une imagination nourrie des songes et des cauchemars, de l’entrelacs des désirs et des peurs qui leur donne une consistance. »
Le cas Jekyll est une pièce dont l’ambition s’exprime avec toute la grâce de la simplicité et part d’une posture créatrice à la fois humble et très exigeante. Denis Podalydès montre ici sa parfaite maîtrise de l’interprétation et de la mise en scène, fluides et rigoureuses, tout en savourant les textes ciselés de Christine Montalbetti. Ils nous entraînent alors dans les méandres de l’esprit avec un Jekyll troublant tant il nous ressemble.
Lorraine Alexandre
Le Cas Jekyll
Texte : Christine Montalbetti
D’après Robert-Louis Stevenson
Mise en scène et interprétation : Denis Podalydès*
Co-mise en scène : Emmanuel Bourdieu et Eric Ruf*
Scénographie : Eric Ruf
assisté de Delphine Sainte-Marie
Costumes : Christian Lacroix
Avec la collaboration de Renato Bianchi
Chorégraphie : Cécile Bon
Lumière : Stéphanie Daniel
Son : Bernard Valléry
* sociétaire de la Comédie-Française
Du 7 au 23 janvier 2010 à 20h30
Le dimanche à 15h30, relâche lundi et mardi ainsi que le 15 janvier
Plein tarif : 27,50 € // tarif réduit : 21 € // tarif jeune : 12 €
Théâtre national de Chaillot
1, place du Trocadéro
75016 Paris
Calendrier de la tournée :
• Le Volcan – Le Havre | 27 au 30 janvier 2010
• Comédie de Reims, centre dramatique | 3 au 6 février 2010
• Théâtre Jean Vilar – Suresnes | 10 au 14 février 2010
• Théâtre National Populaire – Villeurbanne | 17 au 20 février 2010
• Théâtre du Jeu de Paume – Aix-en-Provence | 24 au 27 février 2010
• Institut Français – Madrid | 3 et 4 mars 2010
• Espace des Arts, scène nationale – Chalons-sur-Saône | 16 et 17 mars 2010
• Théâtre Simone Signoret – Conflans-Sainte-Honorine | 26 et 27 mars 2010
• Théâtre Montansier – Versailles | 9 et 10 avril 2010
• Théâtre National de Bretagne – Rennes | 28 avril au 5 mai 2010
• L’Hippodrome, scène nationale – Douai | 18 mai 2010
[Visuel : © Elisabeth Carrechio, Denis Podalydès dans Le cas Jekyll]
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...