Tia-Calli Borlase – Aponia
Les sculptures membranes sont construites à partir d’éléments utilisés en couture et marquent une prédilection pour les baleines de corset, les bonnets rembourrés de soutiens-gorge, les tissus soyeux, les boutons nacrés… Tous ces éléments sont alors assemblés de façon à former des sculptures légères et fragiles dont les formes évoquent volontiers les fesses humaines, les méduses et les chevaux (deux espèces associées à la sexualité). Certaines de ces sculptures peuvent être portées par un corps, mais seulement à l’occasion de nouvelles étapes artistiques, pour des prises de vues, par exemple. Elles se voient également mises en scène et photographiées dans des espaces architecturaux des quatre coins du monde où leur délicate volatilité contraste avec les vestiges archéologiques des anciens temples du site d’Angkor, pour ne citer que cet exemple.
Le poids de la légèreté
Tout le travail de Tia-Calli Borlase se joue des paradoxes et se développe sur plusieurs niveaux de création : la sculpture qui emprunte la technique rarement sollicitée en arts plastiques de la couture, cette première production indépendante peut alors participer à une nouvelle création photographique, elle-même indépendante. L’artiste s’amuse ainsi à troubler les frontières de sa création à multiples facettes formelles et conceptuelles. La légèreté des sculptures et leur structure contraste avec les sujets qu’elles traitent : le corps charnel, animal, pulsionnel, le désir nourri d’un univers discrètement, mais sûrement, imprégné d’une imagerie sado-masochiste et interpellant volontiers la pratique du Bondage si chère à Araki. A ceci près que l’artiste est une femme et, comme c’est souvent le cas, traite le thème de la sexualité avec une finesse rarement observée chez les artistes masculins plus explicites et frontaux dans leur démarche. Ici, la sensualité est mise en avant et nous évitons toute création érotique ou pornographique tout en traitant clairement et sans détour de la sexualité et du désir. Il s’agit d’un tour de force démontrant la maturité artistique de l’artiste et la subtilité de son approche toujours expérimentale et ouverte à ses propres évolutions.
© Tia-Calli Borlase, Sein versus fesses, technique mixte, 2009.
Ouvrir un monde
Tia-Calli Borlase est un nom d’artiste, une création en soi : Borlase était un scientifique, naturaliste espagnol du XIXe siècle, dont la spécialité consistait à découvrir de nouvelles espèces de méduses ; Calli est d’ailleurs le diminutif d’un nom de méduse, alors que Tia, d’une langue à l’autre, peut désigner la femme ou l’amour.
Son travail a ceci de percutant qu’il joue du retrait et du vide. Installées dans l’espace, les sculptures ont autant d’importance que leurs ombres projetées sur les murs, ce qui leur confère un aspect fantomatique tout en doublant leur valeur plastique. Les sculptures installées aux quatre coins du monde sont toujours exemptes de toute présence humaine. Et, même La Chevale, les petites photos sensuelles montrant des fesses de femme revêtues des sculptures membranes leur greffant une queue-de-cheval, même elles donc, malgré la présence charnelle de ce corps, se soustraient, par l’absence de visage, à toute incarnation pour construire un cabinet de curiosité, un espace de fantasme onirique et hybride.
Il reste beaucoup à dire du travail de Tia-Calli Borlase, mais apprécions ici, en guise de résumé à la fois léger et efficace, la liste des mots clés qu’elle a dressée pour définir les points essentiels de sa pratique : Condensation – Réversibilité – Polymorphie – Hybridation – Equivoque – Dissimulation – Ambiguïté – Fragilité – Légèreté – Séduction – Ironie – Humour – Osciller – Suspension – Suspendre – Ruser – Combiner – Corseter – Structurer – Coudre – Articuler – Lier – Rituel – Anatomie – Membrane.
Lorraine Alexandre
Pour une géographie du désir – Tia-Calli Borlase
Vient de paraître : le premier catalogue de Tia-Calli Borlase préfacé par Paul Ardenne, disponible à Aponia, 20 euros
Du 9 janvier au 21 février 2010
Samedi et dimanche : 14h à 19h
Les autres jours sur rendez-vous
Contact : aponia@wanadoo.fr
Tél: 01 49 30 57 29/06 20 49 36 90
Entrée libre
Aponia, Centre d’art contemporain
6, avenue Montrichard
94350 Villiers-sur-Marne
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...