Le Voyage de Victor – Théâtre de la Madeleine
Cette pièce courte – à peine plus d’une heure – met en scène un homme et un femme marqués par la vie. Lui, c’est Victor. A plus de soixante ans, il sort d’un accident de voiture terrible. Il ne sait plus rien – « je n’en sais rien », ne cesse-t-il de répéter quand on lui pose des questions – juste son prénom, et encore. Perdu dans un monde qu’il ne reconnaît plus, il a des éclairs de lucidité qu’il oublie bien rapidement. La présence, la voix profonde de Guy Bedos lui donnent chair, font de lui un personnage à la fois fort et vulnérable, attachant dans sa drôlerie maladroite, son désespoir d’avoir tout oublié. Elle, c’est… on ne sait pas. Lorsque Victor lui demande son prénom, la scène s’achève sur la question. La réponse sera donnée, bien sûr, mais plus tard, sans que Victor ne la comprenne vraiment. Forte et élégante, Macha Méril est impressionnante dans ce rôle qui lui sied à ravir. Elle possède toute l’énergie qui manque à Victor, elle le bouscule, le chahute pour le faire réagir – tout en étant elle-même profondément touchée par le drame qui précède le début de la pièce.
Car l’argument principal du Voyage de Victor, c’est cet accident de voiture qui a coûté la mémoire au vieil homme. Très vite, le public comprend qu’il s’est passé quelque chose de tragique, au delà du choc subi par Victor. Quelque chose d’inavouable, si terrible que c’est peut-être cela qui est à l’origine de son amnésie, bien plus que le choc lui-même. Par un subtil jeu de questions entre les deux comédiens, la vérité se dénude peu à peu – pour être aussitôt refoulée par Victor, qui s’obstine à oublier. A tel point que lorsque le rideau tombe, la situation semble être revenue à son point de départ, comme un éternel retour.
Cette intrigue, qui emprunte au mélodramatique, ne se contente cependant pas de rester dans ce registre : elle prend toute son ampleur par la réflexion qu’elle engage sur le passage du temps, et surtout sur ses ravages sur un couple. Les protagonistes du Voyage de Victor ne sont plus des jeunes gens : la soixantaine passée, ils ont vécu, ils ont souffert, ils ont aimé et ont perdu. L’amnésie de Victor devient alors plus que le résultat d’un accident ou d’un refoulement d’une vérité trop lourde à porter : elle serait le refus de Victor d’accepter de vieillir, de devoir laisser filer entre ses doigts sa jeunesse, ses conquêtes, sa vitalité. Ses réactions parfois puériles marquent un contraste avec le côté raisonnable, rationnel du personnage féminin, qui regarde avec tendresse cet homme redevenu enfant. Sans pour autant lui pardonner de renier son passé. Il ne sait pas qui elle est, mais elle a toutes les cartes en main pour le comprendre, pour lui permettre de retrouver un accès à ce qu’il a été.
Cette pièce aborde des thèmes difficiles, mais elle le fait avec grâce, mêlant humour et désespoir dans un savant mélange. Guy Bedos et Macha Méril transmettent un véritable plaisir de jouer ensemble. L’alchimie est telle que la complicité de ce couple brisé s’impose comme une évidence. Loin de rester le mélo que l’on pourrait craindre en lisant le résumé de l’intrigue, Le Voyage de Victor est une délicieuse pièce intimiste, servie par deux immenses talents du théâtre français.
Audrey Chaix
Le Voyage de Victor
Texte et mise en scène : Nicolas Bedos
Avec Guy Bedos et Macha Méril
Jusqu’au 31 janvier 2010
Durée : 1h10
Réservations : 01 42 65 07 09 ou www.theatremadeleine.com
Tarifs : de 20 à 32€, 10€ pour les moins de 26 ans du mardi au jeudi
Théâtre de la Madeleine
19 rue de Surène
75008 Paris
Métro Madeleine (ligne 8, 12 et 14)
Articles liés
“Moins que rien” : l’histoire de Johann Christian Woyzeck adaptée au Théâtre 14
L’histoire est inspirée de l’affaire de Johann Christian Woyzeck (1780-1824) à Leipzig, ancien soldat, accusé d’avoir poignardé par jalousie sa maîtresse, Johanna Christiane Woost, le 21 juin 1821. Condamné à mort, il a été exécuté le 27 août 1824....
La Scala présente “Les Parallèles”
Un soir, dans une ville sans nom, Elle et Lui se croisent sur le pas d’une porte. Elle est piquante et sexy. Lui est hypersensible et timide. Il se pourrait bien que ce soit une rencontre… Mais rien n’est moins sûr, tant ces deux-là sont maladroits dans leurs...
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...