0 Shares 1238 Views

Sin Sangre – Théâtre des Abbesses

19 décembre 2009
1238 Vues
scripts_es_fotos_notas_550x550_000000142

 

Tout d’abord, il y a la justesse de l’adaptation. Le roman d’Alessandro Baricco est bien là, dans les textes, dans le jeu des comédiens qui ont compris les profonds paradoxes animant chaque personnage. Jouée en espagnol, la pièce fait montre d’un rythme presque musical, alors que de puissantes images poétiques surgissent parfois au détour d’une réplique. Cela va du trivial le plus primaire, avec insultes et jurons, à des images évocatrices qui traduisent avec justesse les émotions vécues. L’auteur italien de Soie, de Novecento : Pianiste ou encore des Châteaux de la Colère n’est jamais perdu de vue : l’adaptation de Senza Sangue (titre original italien) est la preuve que Baricco est fait pour être vu, que ses oeuvres gagnent à être jouées sur scène.

 

Théâtre ? Cinéma ? Brouillage des codes

 

Mais pas n’importe comment. Pour adapter ce roman, la troupe Teatrocinema fait fusionner théâtre et cinéma de la manière la plus complète possible. On a vu des comédiens jouer devant un écran. Ici, les comédiens jouent dans l’écran. Indissociables de l’image animée, ils l’utilisent comme un accessoire, comme une partie intégrante du décor. Car le décor, c’est cet écran. Ou plutôt ces écrans : pour permettre des jeux de perspective, les comédiens jouent entre deux écrans, tandis que l’éclairage permet de les distinguer des images animées.

 

Sans compter que la mise en scène ne se contente pas de projeter des éléments de décor sur des écrans de cinéma : il y a là un véritable parti pris de mêler les genres, d’utiliser les codes narratifs du cinéma et ceux du théâtre. On retrouve ainsi les scènes successives d’une pièce divisée en deux actes distincts. A cela sont rajoutés des flashes forward et des flashes back, des travellings, des plans rapprochés… Incessamment, les deux arts se nourrissent l’un de l’autre, s’enrichissent mutuellement, jusqu’à composer une nouvelle forme artistique, au-delà du théâtre, au-delà du cinéma.

 

Puissance évocatrice

 

A tel point que cette nouvelle forme, si déroutante, prend parfois le pas sur l’intrigue, et tend à distraire l’attention du spectateur. Toutefois, l’histoire possède une telle puissance intrinsèque qu’elle parvient à reprendre ses droits et à s’imposer comme élément principal de la pièce. Car si l’aspect révolutionnaire de la forme est constamment présent à l’esprit, il ne doit pas faire oublier ce qui compte vraiment : le destin des personnages. Forme et fond finissent alors par s’imbriquer pour ne former qu’une seule oeuvre, véritable réussite de cette production.

 

Les clefs de cette réussite ? La mise en scène, qui sait tirer partie de l’originalité de la scène, tout en comprenant quand le décor devient trop imposant, et se recentre alors sur les personnages. Les comédiens, habités par leurs personnages – en particulier Laura Pizarro, qui joue la petite Nina enfant, puis adulte. La musique également, qui joue un rôle crucial dans cette production, amenant avec elle tension et lyrisme. Chacun de ces éléments forme un tout brutal et dépaysant, bousculant le spectateur dans ses idées reçues et ses attentes.

 

On ressort bouleversé, à la fois pas la force et le désespoir de ces personnages marqués par une guerre qui n’était pas vraiment la leur, mais aussi par l’étrangeté frappante de cet ovni artistique. Teatrocinema brouille les frontières entre théâtre et cinéma, perturbe les repères du spectateur pour le plonger dans un univers inédit, parfait reflet de la poésie d’Alessandro Baricco.

 

Audrey Chaix

 

 

Retrouvez cet aricle sur Culture’s Pub

 

Sin Sangre
Mise en scène : Juan Carlos Zagal
D’après la nouvelle d’Alessandro Baricco Senza Sangue
Adaptation : Laura Pizarro, Juan Carlos Zagal
Avec Laura Pizarro, Juan Carlos Zagal, Diego Fontecilla, Ernesto Anacona et Etienne Bobenrieth.

Durée : 1h30
Espagnol surtitré

 

Jusqu’au 22 décembre 2009, puis en tournée dans toute la France
Lundi 21, mardi 22 : à 20h30
Réservations : 01 42 74 22 77

Tarif 1e catégorie : 23€, 2e catégorie : 15€. Tarif jeune : 12€

 

Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses
75018 Paris

 

www.theatredelaville-paris.com

 

Articles liés

“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
Agenda
43 vues

“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête

C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...

“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Agenda
70 vues

“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée

Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...

“Les Imitatueurs” à retrouver au Théâtre des Deux Ânes
Agenda
71 vues

“Les Imitatueurs” à retrouver au Théâtre des Deux Ânes

Tout le monde en prend pour son grade, à commencer par le couple Macron dans un sketch désormais culte, sans oublier Mélenchon, Le Pen, les médias (Laurent Ruquier & Léa Salamé, CNews…), le cinéma, la chanson française (Goldman,  Sanson,...