Voyage pour Hénoch à l’Espace Pierre Cardin
Les nombreuses interventions sur l’histoire d’Abel et Caïn, les fils d’Adam et Eve, issue de la genèse viennent comme de mauvais présages ou des échos sourds dans le duo de David et Henry. Caïn, jaloux de son cadet Abel, l’assassine, c’est le premier meurtre de la mythologie. Caïn avait un fils, Hénoch, il donnera ce nom à la cité qu’il érige pour lui. Il ne s’agit pas là de meurtre fratricide mais bien d’une relation complexe entre deux frères unis mais que tout oppose. L’aîné, Henry, est l’archétype même de l’acteur raté à l’égo surdimensionné. Il fantasme une carrière qui ne viendra pas, encore faudrait-il qu’il s’en donne les moyens. Son rêve de gloire n’est qu’une chimère mais ne l’empêche en rien de croire en son destin et d’afficher une confiance en lui exacerbée que son succès avec les femmes ne vient pas déroger. David est plus discret et compte bien construire son avenir sur du solide. Obstiné et courageux, il mise sur son assiduité dans les études pour être un jour l’avocat des innocents. Il rêve de procès grandiloquents et de succès mérités, « comme au cinéma ». C’est l’arrivée d’une femme belle et pernicieuse qui vient perturber l’équilibre de ces deux frères. Henry a aimé Lisa deux années durant et l’a laissée une nuit sans mot dire. Le temps a passé et il la retrouve un soir chez lui en compagnie de son jeune frère qui ignore tout de leur ancienne liaison. David vivra une histoire qui le comble sans jamais se douter du passif de Lisa et son aîné, qu’ils tairont d’ailleurs pour préserver son bonheur naïf.
Les frères ont perdu leur père, Henry l’a mis sur un pied d’Estale et ne pardonne pas à leur mère d’avoir refait sa vie, chose qu’il prend comme une trahison envers celui qui était tout pour eux. Tandis qu’elle prend très régulièrement des nouvelles de son aîné auprès de David, Henry refuse de la voir et entretient une relation complice avec le Vieux Charlie, le meilleur ami de leur défunt père. Juif comme eux, le Vieux Charlie tient une pizzeria qui a pour seuls clients, ses amis et Henry. Le sujet de la guerre en Iran, et les soldats israéliens qui y partent au combat sont des leitmotivs dans les conversations des deux frères, même si David semble avoir d’autres préoccupations, d’autres projets d’avenir aussi. Alors que Lisa rejoint le discours d’Henry, un jour David est appelé pour défendre sa patrie. Ce départ inopiné déstabilise (ou ravive) les rêves d’Amérique des deux frères. Henry qui est resté à Paris en raison d’une jambe plâtrée ne désespère pas, mais demeure impuissant, lui qui avait tant prôné le devoir patenté de la jeunesse israélienne. Coup du destin, acte manqué ou ironie du sort, Henry et Lisa attendent ensemble le retour du jeune et brillant David. Et New-York continue à bouilloner sans eux… Hénoch ou New-York, c’est en cet autre part que les deux jeunes hommes imaginent leur félicité, ils convoitent une contrée lointaine, un château en Espagne. Et s’ils sont animés par ce point de mire, c’est parce qu’il est alimenté par leur culture cinématographique. Les références au cinéma américain du milieu du 20ème siècle sont présentes tant dans les répliques des personnages que dans la mise en scène.
Pour fond sonore, la voix jazzy et enveloppante de Billie Holiday, côté cour et côté jardin des séquences de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, des diaporamas de photos de Grace Kelly – la ressemblance de Lisa avec la star hollywoodienne est délibérée – les répliques du Parrain de Francis Ford Coppola, tout participe à une atmosphère surannée et feutrée. Le rêve américain, la Grosse Pomme idéalisée, la pizzeria infortunée du Vieux Charlie, l’empreinte du glamour et du charme du cinéma outre-Atlantique et des mythes attenants, cette kyrielle de symboles traduisent les aspirations nostalgiques d’Henry et David. Et cette utopie d’un passé hérité de la culture cinématographie et musicale vient en fracture avec une réalité âpre, que rappellent les évocations de la situation en Iran, le départ de David, et à moindre échelle la carrière sclérosée d’Henry, un trio amoureux ambigu, une famille désunie. Ces ruptures viennent comme des anachronismes qui témoignent d’un mal être dans une époque, dans une société, dans sa propre peau symbolisée par un désir d’envol, d’exil, et d’un nouveau départ. Le voyage ne doit pas être le même pour les deux frères. Ils croient réciproquement être sur une même longueur d’onde mais ne seraient-ils pas en pleine divergence, en train de se fourvoyer sur les ambitions de l’autre ? Et si David n’était pas simplement en partance vers sa vie d’adulte et Henry en fuite d’une vie qu’il ne parvient pas à construire ? À chacun son Hénoch.
La force de cette pièce tient alors en la liberté d’interprétation qu’elle permet. À la fois palpables et abstraits, le propos et la visée sont échafaudés autour de fortes symboliques et d’un univers enlevé. L’intemporalité et la spatialité du huit clos rendent à la pièce toute sa dimension théâtrale, son sens par l’omission et son mystère. Hadrien Raccah jeune auteur déjà récompensé, et interprète dans le rôle de David, assure des débuts prometteurs en signant cette histoire allégorique, fraîche et mature.
Hélène Martinez
Voyage pour Hénoch
Une pièce de Hadrien RACCAH
Avec
Jeremy BANSTER
Marie-Gaëlle CALS
Hadrien RACCAH
Mise en scène : Anne BOUVIER
Chef décorateur : Pierre François LIMBOSCH
Production exécutive : Michelle FLAK
Du 29 octobre 2009 au 20 février 2010
Représentations les jeudi, vendredi et samedi à 20H30
Et le dimanche à 16H00
Tarif préférentiel pour les membres d’Artistik Rezo à 18euros au lieu de 26euros.
Réservation impérative par téléphone au 01 56 30 06 95 du lundi au vendredi jusqu’à 16h30. Pour bénéficier de ce tarif, dites le mot de passe “Artistik Rezo 26”.
Espace Pierre Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Métro Concorde
Retrouvez toutes les informations, des photos et des vidéos sur le site de Voyage pour Hénoch
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