“American dream” de Laurent Elie Badessi à la Galerie Adler
Symbolisme et concept
Cinq portraits en couleur de militaires américains font face à leurs semblables en noir et blanc. Il pourrait s’agir de ces photographies prises des soldats américains avant leur départ pour la guerre à l’attention de leurs familles, ils sont droits, patriotiques, fiers. Les clichés en couleur renvoient au départ de ces jeunes patriotes ; en noir et blanc, un retour funeste. Quatre ethnies, deux européens, un hispanique, un asiatique et un afro-américain, ou les échantillons du melting pot outre-atlantique sont ici représentées. Arborant l’uniforme de la Navy, d’Air force, de l’Army, des Marines ou des Nations Unies, tous ont les yeux bandés par un drapeau américain. L’effigie d’une toute puissance qui rend aveugles ces jeunes héros. Sur leur badge, à la place de leur nom, un mot, qui par l’association des cinq portraits forment une phrase : « ceci n’est pas un rêve ». Cette même phrase est reprise, l’ordre des mots est inversé tel un reflet inversé, sur les bandeaux cette fois noirs des photographies en noir et blanc. Sur leur badge à eux, un code barre, figure de l’anonymat pour ne pas dire de l’instrumentalisation dont sont victimes ces jeunes hommes. Des héros de la sacro-sainte armée américaine, des victimes aussi de cette même institution, deux états que suggère le halo de lumière blanche derrière leur tête. Ce sont autant de symboles que l’artiste Laurent Elie Badessi a souhaité agencer dans son œuvre American Dream.
Narration et engagement
C’est avec une forme presque narrative que l’artiste dévoile un message fort, usant d’un symbolisme exacerbé, du jeu de trahison de l’image inspiré par René Magritte et Ceci n’est pas une pipe, et de la répétition conférant à son travail une richesse de réflexion inouïe. Laurent Elie Badessi propose un art engagé qui brusque la grandeur des États-Unis. Pousser le messianisme américain dans ses retranchements n’est pas une audace rare, mais American Dream soulève des idées avec une justesse et une habileté sibyllines. L’esthétisme est simple et percutant, le message clairement lisible et pourtant le concept est subtil et tout en substance. La froideur des portraits en contraste avec la plastique parfaite des sujets révèle le cynisme de ce constat tragique que dresse l’artiste. La réappropriation de ces portraits de vaillants soldats – portant sur leurs larges épaules toute la puissance de leur pays, et qui malgré eux sont le symbole d’une cécité ambiante – garantit réalisme et exégèse. C’est un paradoxe, le prisme d’une illusion. Il y a dans cette démonstration comme une ironie néanmoins guidée par une sincérité envers la thématique grave.
Un rêve déchu
Aucun lieu commun dans cet ensemble cohérent qui forme une unité indissociable, uniquement des mises en abîme, des réflexions que l’on effeuille, des évidences que tout un chacun sait passivement. L’artiste critique les limites d’un système, la tragédie de ces jeunes Américains qui partent servir leur nation en Irak, qui s’en vont vers l’abyme ou reviennent dans l’abandon de leur mère patrie, laissés seuls à leurs angoisses, leurs maux au milieu d’une société qui peine à reconnaître le sacrifice de leur sacerdoce. L’artiste dénonce le déni de cette tragédie par un grand nombre d’américains hypnotisés par tant de propagande servile pour l’armée. Le fait de la publicité et l’utilisation de la répétition rappelle ici l’emprunte du pop art, qui fut à sa manière une critique de la société américaine, une société de consommation ultramoderne qui aujourd’hui ne semble pas avoir retenu les leçons du passé, et répète l’histoire, reproduit sans humanité l’enfer de la guerre, prenant à partie ses propres citoyens. Derrière une apparence lisse, Laurent Elie Badessi donne à voir sans nulle violence, une réalité contemporaine où le rêve n’est pas celui qu’on croit. Il prend la mesure d’un mirage tragique qui se dessine encore et encore sur le nouveau continent, pique au vif un drame sournois et décrypte une imposture latente. Il pose la question de l’ambiguïté entre la réalité galvaudée et la vérité de la Liberté de la démocratie dans les sociétés occidentales et plus largement de la guerre que seul l’homme est capable de perpétrer.
American Dream est une œuvre tout aussi accessible que complexe qui permet d’illustrer avec ferveur une des perversions du patriotisme américain. On observe dans ce miroir formel une infinité de symboles qui se répondent, un miroir dans lequel les principaux intéressés refusent de se mirer eux-mêmes.
Hélène Martinez
American Dream de Laurent Elie Badessi
Dans le cadre de l’exposition American Dream, sont également exposés à la Galerie Adler, les artistes Jonathan Stein, Peter Anton, Stian Roening, Robert Craig, Jonathan Seliger et Karen Shapiro.
Jusqu’au 3 novembre 2009
Galerie Adler
75 rue du Faubourg Saint Honoré
75008 Paris
01 40 06 03 82
contact@galerieadler.fr
www.galerieadler.fr
Le portrait de Laurent Elie Badessi sur Artistik Rezo
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