« Jours intranquilles » chroniques de Bruno Boudjelal au pavillon Carré de Baudouin
Trouble familial, instabilité historique, flou photographique… Presque trop pour un seul homme. Au début des années 1990, Bruno Boudjelal, photographe amateur, Français aux origines algériennes enfouies sous les non-dits, se lance dans la botanique généalogique pour remonter la branche paternelle de l’autre côté de la Méditerranée. Il s’envole donc le 1er mai 1993 vers le Maghreb et une destinée incertaine. Parmi les bagages du voyageur, un petit bout de papier avec le lieu de naissance de son père. Lequel, demeuré en France, n’a pas voulu en dire plus.
A la recherche d’un passé perdu se greffent alors des images intimes, des visages proches de l’objectif, des routes, des scènes de fête, des paysages, des villages, vus parfois de l’intérieur d’une voiture ou d’un bus. Le pavillon Carré de Baudouin expose de ce fait un extraordinaire roman-photo. Dont le sentiment de mouvement perpétuel resterait inénarrable, s’il n’y avait les commentaires datés de Bruno Boudjelal. De ce reporter improvisé se dégage ainsi une humanité sincère, non-travaillée, instinctive ; les photographies, timides, floues, un rien pusillanimes, collent à l’incertitude, à l’inconnu des racines familiales algériennes.
« Rentre et ne reviens jamais »
L’Algérie, entre dévoilement et souvenirs, s’ouvre chaque fois un peu plus à Bruno Boudjelal au gré des allers-retours. Au cours desquels son père l’accompagne finalement plusieurs fois. Mais les réminiscences d’antan réveillent les douleurs latentes, de la guerre d’Algérie à une naissance non désirée… En 1997, le récit devient poignant : « La situation avec mon père s’est totalement dégradée. Je suis en train de découvrir un être méchant et cynique. Je suis bouleversé et je ne sais quoi penser. » Le contexte franco-algérien révèle les blessures ouvertes d’un conflit à l’évocation encore aujourd’hui sensible. Comme lors d’un contrôle de papiers, lorsque le père s’entend dire : « Toi, tu peux partir, le traître. Tu voyages avec un passeport français et tu as même changé de prénom ! Nous n’avons pas besoin de gens comme toi ici, rentre et ne reviens jamais ! »
Au début des années 2000, Bruno Boudjelal effectue une nouvelle série de pérégrinations. La couleur apparaît dans les photographies, comme débarrassées du fardeau familial. Toutefois, sous des allures plus allègres de bord de mer, de joyeux rassemblements et de rues enluminées, nulle trace de la « jeunesse en plein renouveau », dont Bruno Boudjelal est censé faire le portrait. Les Algériens manifestent plutôt leur désir de quitter le pays, de fuir le chômage et évoquent les difficultés des femmes à exister.
« Jours intranquilles », récit en plusieurs volets, chroniques affectueuses d’un homme sur les traces de son passé, brasse de nombreux aspects, intimes, historiques, sur le modèle de l’histoire dans l’Histoire. Une intense émotion enveloppe ce roman-photo de Bruno Boudjelal, qui explique ainsi sa relation passionnelle avec l’Algérie : « J’ai toujours l’impression de tomber dans un gouffre sans fond d’où jamais je ne sortirai. » Pourtant, l’attraction renaît, incessante, comme toute attraction originelle, comme toute attraction familiale.
Cyril Masurel
« Jours intranquilles », Chroniques algériennes d’un retour (1993-2003)
Jusqu’au 14 novembre 2009
Du mardi au samedi de 11h à 18h
Informations : 01 58 53 55 40
Entrée libre
Pavillon Carré de Baudouin
121, rue de Ménilmontant, Paris 20e
Métro Gambetta (ligne 3)
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