The September Issue de R.J. Cutler
Ames sensibles s’abstenir, il ne fait pas toujours bon vivre dans les couloirs de Vogue, sauf si la passion et l’art du chiffon hors de prix vous habitent. Il ne faut cependant pas noircir le tableau, Le Diable s’habille en Prada est une fiction.
The September Issue. L’un des numéros les plus attendus de l’année. Celui qui donne le ton de la rentrée et ouvre la saison. C’est dire les enjeux et les pressions qui incombent à la rédaction du Vogue américain, les quelques semaines qui précèdent le bouclage. Et tout cela mené de front par la charismatique Anna Wintour. Celle, qui comme par un effet papillon, fait et défait la mode à l’échelle internationale. R. J. Cutler s’immisce dans cet univers, et c’est d’un œil discret et juste qu’il dévoile la rudesse d’un milieu de beauté et de démesures. L’occasion de dresser les portraits des principaux acteurs de ce cercle fermé. Le réalisateur n’impose aucun axe particulier, ni parti pris dominant, il nous donne à voir naturellement un microcosme fait d’exubérances, d’excès, de paraître et d’une certaine fureur. Il y parvient en étant là, comme un membre de l’équipe en observation, il est le regard extérieur à qui on jette un œil complice. Il est aussi celui qui passe inaperçu, à qui on ne prête pas attention, transparent mais bel et bien présent, à qui rien n’échappe. Ainsi capte-t-il une vérité. Même plusieurs… Un traitement objectif qui familiarise le spectateur avec l’atmosphère, et permet de s’approprier l’inaccessible, la « team » d’Anna Wintour.
Lunettes noires, carré impeccable. De défilé en défilé, de créateur en créateur, de capitale en capitale, Anna Wintour l’imperturbable, scrute, donne son avis – parole d’évangile – décide, tranche, somme ceci, cela avec constance et flegme. The September Issue lève le voile sur un personnage énigmatique et singulier mais ne montre pas pour autant un monstre arbitraire. Même si une once d’autocratie règne dans les bureaux de l’institutionnel Vogue américain ! Anna Wintour est de marbre, sans doute à cause de l’éducation victorienne qu’elle a reçu de son père, lui-même grand journaliste. La carapace est épaisse, même en interview, lorsqu’elle évoque famille et carrière avec sincérité et retenue. Anna n’est pas une affreuse personne. Elle a l’élégance de toujours respecter ses disciples. Intimidante, elle sait se montrer odieuse, peu importe la présence d’une caméra, c’est bien trop naturel chez elle. Pourtant elle se raisonne et le confie. C’est l’occasion aussi pour elle de glisser sa reconnaissance envers ses partenaires professionnels de longue date et de talent. Une preuve qu’elle est humaine. Mais les sourires sont rares, l’humour pince-sans-rire mais la rigueur et l’exigence priment. Il est clair que c’est avec elle-même qu’elle est la plus stricte. Anna Wintour est carriériste, elle s’est imposée dans le monde de la mode sans condescendance mais sans pitié non plus et semble plutôt se satisfaire du rôle qu’elle endosse à la perfection.
Le Yin et le Yang. Elles sont arrivées le même jour de 1988 chez Vogue, Anna Wintour et Grace Coddington, la directrice de création, sont sœurs ennemies et pourtant les meilleures collaboratrices. Dualité et complémentarité les unissent, au-delà d’une complicité en pudeur. C’est sans nul doute le contraste entre ces deux femmes l’élément le plus riche d’intérêt du documentaire. Grace Coddington, ex-mannequin originaire du Pays de Galles fait ses débuts très jeune dans le Vogue anglais, embrassant dès lors une carrière de rédactrice mode. Elle côtoie depuis des décennies les plus grands photographes du monde et œuvre dans la création artistique du Vogue U.S. avec brio. Ce que reconnaît la rédactrice en chef, malgré leurs nombreuses discordes. L’une est une main de fer dans un gant de velours intraitable et parfois cynique et l’autre est spontanée et joviale, passionnée à toute épreuve. La seconde, Grace, apparaît non pas dans l’ombre de sa supérieure mais davantage comme un membre indispensable et respecté de l’équipe. Elle s’impose, faisant parfois fi d’Anna Wintour avec ironie et gentillesse, elle a l’ancienneté pour elle. C’est d’ailleurs l’unique personne qui parle d’Anna avec une totale liberté, sans censure ni pincettes ! Elle est vraie, et sa complicité avec la caméra de R. J. Cutler en témoigne. Elle livre son quotidien de directrice de création à la manne d’une chef pour le moins drastique avec humour et sincérité. Et le réalisateur ne s’y trompe pas, il l’apprivoise et fait de cet éternel second rôle le portrait d’une belle personne, clé de voûte du magazine de mode.
Real life. Anna Wintour n’est pas que despotique, la marchande de glamour et de luxe serait même philantrope. Celle qui défend la jeune création, soutient particulièrement Thakoon Panichgul, créateur de mode qui doit en partie sa réputation grandissante à la rédactrice en chef de Vogue. Anna Wintour reste fidèle à son image de caractère et de réussite et affiche sans complexe sa force de décision. A contrario, ce sont ses enfants sa véritable faiblesse, comme le seul élément absolu qui pourrait pour une raison ou une autre la freiner. Ce documentaire montre le triomphe de la femme moderne à son paroxysme, un symbole, un extrême aussi. Il est réjouissant de voir Anna Wintour, la mère dans un moment d’intimité chez elle avec sa fille, de saisir quelques confidences, de pénétrer l’arrière du décor sans jamais briser la glace. Réjouissant également de croiser Mario Testino, Jean-Paul Gauthier dans son atelier parisien, Andre Leon Talley sur un cour de tennis tout de Louis Vuitton vêtu …! Il s’agit là d’un vrai métier, aussi difficile que futile, celui de vendre du rêve. C’est la réalité de Vogue.
Un documentaire piquant et bien amené qui fait du spectateur un VIP, l’emmène dans la nébuleuse de Vogue et le conduit à comprendre les hautes sphères de la mode à travers ceux qui la décident et la font vivre. Amen.
Hélène Martinez
Documentaire de R.J. Cutler
Avec Anna Wintour, Grace Coddington, Thakoon Panichgul et Andre Leon Talley
Sélection officielle Deauville 2009 – Festival de Cinéma Américain
Official selection 2008 Sundance Film Festival
Sortie le 16 septembre 2009
Durée 1h28
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