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“Singularités d’une jeune fille blonde” : le dernier bijou de Manoel de Oliveira

19 juillet 2009
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Fenêtre sur rue
Honnête homme engagé comme comptable dans l’entreprise de son oncle à Lisbonne, Macario travaille à l’étage supérieur d’un immeuble faisant face à une splendide demeure bourgeoise en apparence inaccessible, tout comme le beau visage de la jeune fille apparaissant à intervalles réguliers dans l’encadrement de la fenêtre. C’est dans cet espace presque imaginaire frappé par la distance mais jouissant d’une heureuse proximité que Macario va s’éprendre de cette apparition proche du mirage et s’étourdir à la vue de ce visage au profil mystérieux, intensément fascinant, toujours à demi voilé par le battement d’un gracieux éventail couvrant et découvrant délicatement sa rare beauté. Phénomène dont l’existence à peine tangible est chaque jour suspendue au retentissement de l’horloge de la ville sonnant l’heure matinale, l’hypnotique Luisa capture toute la lumière et captive le jeune Macario. D’un bout à l’autre de la pellicule, Manoel de Oliveira soigne ses tableaux et cisèle avec précision le portrait de cette jeune fille blonde dont les traits divinement sculptés rivalisent avec le dessin irréprochable d’une médaille des temps anciens. Surgissant dans l’encadrement de la fenêtre à la manière d’un modèle spontané offert à la peinture, Luisa est l’oeuvre vivante dont Macario est l’unique spectateur.

 

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Bovarysme des temps modernes
La tonalité romantique et mélancolique de l’œuvre trouble habilement notre

inscription dans une temporalité déterminée en déréglant le sens de notre perception immédiate : bien que l’action se déroule de nos jours et que de nombreux indices scénographiques en attestent constamment, nous sommes pourtant sans cesse renvoyés sinon transportés comme en rêve dans un temps où subsistent encore les bonnes mœurs du XIXème siècle. Un glissement d’impression terriblement séduisant dont le croisement des essences à la fois atemporelles et réalistes produit une contradiction inattendue entre le cadre résolument moderne du récit et la psychologie incontestablement dépassée des personnages. L’attention portée aux cadres photographiques, aux lumières fauves et aux ambiances sonores donne à la réalisation une qualité visuelle et sensuelle inouïe. Aux frontières du jeu théâtral, l’évolution des acteurs, Ricardo Trêpa et Catarina Wallenstein, crée l’illusion d’un retour à la candeur et à la noblesse de sentiments que l’on croyait définitivement perdus.

 

Epanouissement dans la durée
Manoel de Oliveira installe l’action dans une progression lente et savoureuse qui s’accorde au temps réel sinon naturel de l’épanouissement des sentiments. Macario fera preuve de patience, non seulement pour se faire remarquer par l’intrigante Luisa et la séduire, mais aussi pour convaincre son oncle, inflexible, de l’urgence de leur union et enfin pour s’attirer les bonnes grâces de sa future belle-mère, allant jusqu’à renoncer provisoirement à son confort et accepter l’exil temporaire. Une persévérance dont le cheminement proprement laborieux étire le temps et dilate la forme du scénario tout en resserrant intensément notre attention qui est comme déjà suspendue au nœud de la chute dramatique. Une dissolution narrative qui contraste avec l’extrême brièveté de l’œuvre dont la durée, n’excédant pas une heure, apparente l’objet cinématographique à un court-métrage aux ambitions déguisées. La précipitation finale de l’action renforce le caractère énigmatique d’une construction patiente de la situation initiale. Une tension comparable à celle qui traverse la trame même de la romance mesurant le hiatus qui persiste entre l’idéal romantique et la réalité de l’imperfection humaine. Macario, prêt à tout sacrifier par amour finira pourtant précisément par sacrifier l’objet même de cet amour en faveur d’un absolu. Ayant découvert les pratiques pour le moins singulières de la jeune fille, il se sauvera pour sauver son éthique romantique, laquelle aimantée par le magnétisme du mystère ne peut cependant souffrir le trouble du vice et de la perversion pulsionnelles, encore moins s’y laisser corrompre. Mais de cette histoire aux éclairages toujours admirablement nuancés, il ne faut espérer tirer aucune morale, pas même une leçon.

 

C’est par la brise d’une fable à la poésie douce amère que le dernier bijou de Manoel de Oliveira, « Singularités d’une jeune fille blonde », est de part en part traversé, à la manière d’un charme qui enveloppe puis se dérobe pour laisser la vie suivre son cours, non dans une société normée mais dans un monde à la prose encore inachevée qui ne demande qu’à s’éterniser.

 

Nora Monnet

 

En salle le 02 septembre 2009

“Singularités d’une jeune fille blonde”

De Manoel de Oliveira

Portugal / 2009 / 63 min / Couleur

 

Ricardo Trêpa / Macario

Catarina Wallenstein / Luisa

Diogo Doria / Oncle Macario

Julia Buisel / Dona Vilaça

Leonor Silveira / La femme du train

 

Réalisation & Adaptation de Manoel de Oliveira

Chef Opérateur : Sabine Lancelin

Cadre : Francisco de Oliveira

Son : Henri Maikoff

Scripte : Julia Buisel

Décors : Christian Marti & José Pedro Penha

Costumes : Adelaïde Trêpa

Montage : Manoel de Oliveira & Catherine Krassovsky

 

Distribution / Epicentre Films
55, rue de la Mare 75020 Paris
Information au 01 43 49 03 03
www.epicentrefilms.com

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