Play Strindberg, une scène de ménage infernale à l’Atalante
Play Strindberg est l’adaptation scénique que Dürrenmat a opérée d’après La Danse de mort de Strindberg, drame naturaliste étudiant le quotidien de ce qu’il convient d’appeler un vieux couple, à l’aube de leurs noces d’argent. Isolés dans une île entourée de remparts, Edgar, militaire arbitraire et tyrannique, et son épouse Alice, ancienne actrice nostalgique de sa carrière, s’affrontent dans le huis clos de leur vie de couple dans l’enfer duquel seule la mort semble à même de pouvoir les libérer.
La scène est personnifiée en un ring, supervisé par un arbitre. Et on n’a pas fini de compter les points. Les douze rounds que compte la pièce permettent de fixer une temporalité appréciable, où les relations s’enveniment à mesure que la durée des séquences se réduit.
La psychologie des personnages nous est livrée à travers leurs carrières ratées qu’ils ne veulent pas admettre, mais que leur conjoint leur rappelle constamment, le désir d’Edgar d’être promu major, la même chanson d’adieu jouée sans cesse par Alice, et chacune des deux parties cherche à tourner en dérision les faiblesses de l’autre, à le dévaloriser, en un mot, à l’enfoncer. Une relation tirée vers le bas, donc, et dans ce combat, les armes sont de taille. Tout est prétexte à atteindre l’autre : leurs vies, leurs faiblesses, leurs carrières, leurs passions, leurs enfants, toutes les petites misères du quotidien fusent à travers la scène dans cette scène de ménage délirante. On ne s’étonne donc pas qu’Edgar puisse prononcer ces mots : « dans tout mariage il y a une idée de meurtre ». Kurt, l’intermédiaire, cousin d’Alice et célibataire, permettra d’enrichir la relation, en servant de miroir aux deux moitiés qui devront cesser de se mentir à eux-mêmes.
Si l’intelligence des répliques et le comique de répétition sont une réussite pour élever ce thème tragique à la dimension du comique, c’est surtout à la prestation des acteurs que l’on doit cela. Philippe Hottier, en Edgar, exprime d’une façon grotesque cet homme bourru, misanthrope, qui s’auto persuade qu’il n’est pas malade malgré ses malaises à répétition, et sa femme qui lui assure avec aplomb que sa mort est proche, tandis que sa chorégraphie bouffonne de « La Danse des Boyards » mérite à elle seule le déplacement. Quant à Agathe Alexis, elle est tout simplement excellente. De sa prestation émane une classe rare, et sa jubilation à exprimer de toutes les manières possibles sa haine envers son mari est presque palpable. Acerbe, piquante, elle dynamise la pièce avec cet amusement démoniaque qu’elle ressent à assener à sa moitié les remarques les plus perfides.
Play Strindberg est l’expression même de l’une des fonctions essentielles du théâtre : permettre au spectateur de s’évader de sa vie, la retrouver plantée sur scène à l’excès, et rire, pourtant.
Sophie Thirion.
Play Strindberg
De Friedrich Dürennmat
Mise en scène Alain Alexis Barsacq
Compagnie des Matinaux
Avec Agathe Alexis (Alice), Philippe Hottier (Edgar), Dominique Boissel (Kurt), Frédéric Boubet (l’arbitre)
Du 3 au 20 Juin à l’Atalante (10 Place Charles Dullin 75018 Paris – métro Anvers/Abesses/Pigalle)
Lundi, Mercredi, Jeudi, Vendredi à 20h30
Samedi à 19h, Dimanche à 17h
Durée : 1h50
Plein tarif : 20 euros
Tarif réduit 15 euros (habitants du XVIIIe, séniors, groupes de dix personnes)
Tarif plus 10 euros (Intermittents du spectacle, demandeurs d’emploi, étudiants, moins de dix huit ans)
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