L’ingénu de Voltaire – Mise en scène d’Arnaud Denis au Théâtre Tristan Bernard
L’adaptation de Jean Cosmos découpe le conte en quinze tableaux et offre un chef d’orchestre à la représentation. La pièce s’ouvre sur les personnages de ce metteur en scène et de son technicien éclairés d’une simple servante, la lumière qui jadis au théâtre restait constamment allumée en dehors des représentations. Des portants de costumes à cour et à jardin indiquent qu’un spectacle est en train de se créer. Le régisseur n’a plus qu’un clou à planter avant de laisser place à une ultime répétition, prétexte pour nous donner à entendre les douze coups. Cette introduction en mise en abîme prédispose le spectacle à s’inscrire à la fois dans le respect de l’Histoire du Théâtre et dans la modernité.
Les comédiens sortent un à un de derrière les portants tandis que nous sont présentés leurs personnages : le prieur et sa sœur, la Belle Saint-Yves et son frère l’abbé, le Bailly (représentant de l’autorité royale) de Saint-Malo et son idiot de fils, le jésuite et évidemment le bel et jeune indien huron. Il a quitté sa tribu d’Amérique du Nord et a parcouru le monde pour arriver sur les terres bretonnes. « On m’appelle L’ingénu, dit-il, parce que je dis tout haut ce que je pense ». Au cours d’un dîner, il sera décidé d’en faire un bon catholique en le baptisant et en faisant de la Belle Saint-Yves sa marraine. « Tout a l’air d’être pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » s’exclame-t-il alors dans un joli clin d’œil à Candide avec cette formule que Voltaire a lui-même empruntée à Leibniz. De là, notre bel enfant va commencer à ouvrir les yeux sur le monde découvrant tour à tour, les joies de la famille, l’ivresse de l’amour, l’hypocrisie de la religion et la perversité de la politique.
Au travers de ce regard innocent, avec beaucoup d’ironie seront alors passées en revue toutes les thématiques chères à notre philosophe des Lumières. On pensera, bien entendu, au mythe du bon sauvage de Rousseau. Notre ingénu découvrira bien vite notamment les incohérences de la religion : « on fait une infinité de choses qui ne sont pas dans vos livres et on ne fait pas ce qu’il y est inscrit ». Il sera victime d’une justice bien éloignée de sa définition : « Vous êtes de très malhonnêtes gens puisqu’il faut tant de lois pour gérer vos agissements ». Il sera enseigné à la fameuse querelle entre jésuite et jansénistes « Je crois qu’un chat est un chat alors que les jésuites nous expliquent qu’un chat n’est pas un chien ». Et pendant ce temps, l’objet de son amour, la Belle Saint-Yves découvrira à ses dépens les mœurs légères de la cour réalisant qu’en effet «la droiture d’un homme n’est rien comparée à toutes les courbes qui font une femme ».
La mise en scène d’Arnaud Denis met parfaitement en exergue la modernité de ce texte et il faut saluer son admirable prestation dans le rôle-titre. Tout, de son aisance sur le plateau à son élocution, conforte à le définir comme un grand comédien. Ses comparses ne sont pas moins à la hauteur dans une excellente gestion de la voix et de l’espace au cœur d’une scénographie simple et efficace, relevée par des costumes d’époque. Saluons enfin la partition musicale qui met Mozart à l’honneur et les superbes lumières de Laurent Béal, qui participent à l’éclat de la représentation. De la médiocrité des courtisans de Versailles à la grandeur des hommes ferrés à la Bastille, L’ingénu d’Arnaud Denis nous fait parcourir quinze tableaux d’une même perfection, c’est du grand, du beau !
Angélique Lagarde
L’ingénu de Voltaire
Adaptation de Jean Cosmos
Mise en scène d’Arnaud Denis
Compagnie Les Compagnons de la Chimère
Avec Arnaud Denis, Jean-Pierre Leroux, Daniel-Jean Colloredo, Monique Morisi, Romane Portail, Géraldine Azouleos, Denis Laustriat, Jonathan Bizet, Stéphane Peyran, Claude Brécourt et Sébastien Tonnet ou Alexandre Guanse.
Lumières : Laurent Béal
Scénographie : Mirjam Fruttigrer
Costumes : Virginie Houdinière
Jusqu’au 6 juin
Au Théâtre Tristan Bernard
64, Rue du Rocher
75008 Paris
Réservations : 01 45 22 08 40
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