Les Heures souterraines, un désespoir contemporain
Les Heures souterraines D’après le roman de Delphine de Vigan Adaptation d’Anne Loiret Mise en scène d’Anne Kessler Avec Anne Loiret et Thierry Frémont Jusqu’au 12 juillet 2015 Durée : 1h30 Tarifs : de 30 à 37 € Réservations au Théâtre de Paris M° Trinité-d’Estienne d’Orves (ligne 12) |
Jusqu’au 12 juillet 2015
Un homme et une femme, l’un à cause d’une amante, l’autre à cause d’un patron, expriment en parallèle leurs souffrances. Se côtoyant sur le plateau sans jamais dialoguer directement, ils entraînent les spectateurs dans la partie sombre des vies dès lors qu’on les regarde autrement qu’en surface. Désespoir discret interprété par un duo de qualité. Mathilde est une jolie femme, cadre dans une entreprise, veuve et mère de famille. Alors qu’elle est parvenue à surmonter la douleur de la mort de son mari, un supérieur hiérarchique la plonge dans l’impasse de la détresse. Thibault est un médecin urgentiste, célibataire. A priori, il a tout pour être heureux sauf qu’une relation amoureuse décevante l’a conduit à la solitude. Tous deux expriment à tour de rôle leur tristesse, tandis qu’ils poursuivent courageusement la routine du quotidien. Le décor est dépouillé, tout en faïences blanches, froid et neutre autant que le métro qu’ils empruntent. Ils y circulent sans se rencontrer, comme ils circulent dans la foule anonyme sans que personne ne puisse soupçonner leurs vies intimes enfouies. Concernant Thibault, la femme avec laquelle il partageait des escapades amoureuses ne répondait pas à la hauteur de ses sentiments et ne pouvait satisfaire ses attentes. Plutôt que de s’enfoncer dans la douleur d’une fausse réciprocité, il a réussi à la quitter. Une grande tristesse s’est alors installée en lui mais il ne regrette jamais pour autant son choix de rupture. C’est un homme blessé qui continue à exercer au mieux son métier et à vaguement espérer l’amour tel qu’il l’envisage. Thierry Frémont incarne cet homme profond et pudique. Tout en retenue, l’acteur parvient à entrelacer force et faiblesse, détermination et fragilité. Dès la première scène dans laquelle il est l’amant au bord des larmes tandis que sa compagne dort tranquillement, Thierry Frémont attrape immédiatement le spectateur par ce charme composé de sincérité et de virilité. Il joue avec simplicité, réserve, doté d’une grande présence, habité en chacun de ses gestes même infimes, jusque dans ses déplacements et sa démarche qui est sans démonstration et néanmoins imprégnée d’une lassitude poignante. À côté de Thierry Frémont – un des plus subtils comédiens de sa génération –, Anne Loiret incarne Mathilde. Celle-ci doit élever seule ses enfants, tandis que son chef lui impose un harcèlement comme notre époque en produit hélas trop souvent dans l’univers de l’entreprise. L’actrice a également cette pondération qui fait la caractéristique du spectacle. Elle ne s’écroule pas, ne crie pas, ne tempête pas. Elle fait face avec lucidité et volonté. Devant tenir bon pour ses enfants notamment, elle affronte et exprime son enfer professionnel avec courage, consciente de la violence morale qui lui est infligée et cherchant à rester forte en dépit de la réalité désespérante. La pièce est adaptée du roman de Delphine de Vigan qui avait rencontré un large succès dès sa sortie en 2009. La construction lui est fidèle et la metteur en scène Anne Kessler a choisi une déambulation sans extravagance pour exprimer la souffrance cachée de ces deux êtres. Elle guide leurs soliloques et leurs mouvements dans le registre du désespoir ordinaire. Cette option rend les personnages à la fois uniques en leur mal de vivre et proches de beaucoup de gens qui taisent leur solitude. Ils continuent à assurer leurs devoirs familiaux ou professionnels, ils prennent les transports en commun, ils ont quelques amis et ils portent l’air de rien un écrasant malaise. Il se dit beaucoup de l’époque actuelle à travers eux, tant du monde du travail que des rapports amoureux. Un supérieur hiérarchique rodé aux méthodes de management les plus perverses peut détruire un membre du personnel sans que personne ne le voie ou n’ose agir. Et alors que pendant longtemps cela a paru sottement être un apanage masculin, une femme peut, par simple profit ou confort sexuel, piéger un homme réellement aimant en le bernant avec une apparence inoffensive. Les deux font du mal sans bruit ni violence, broyant leurs victimes par manipulation morale, donc sournoise et de manière souterraine. En face, la souffrance rôde de même, cachée. Et c’est tout l’intérêt de cette pièce que de la montrer et la dire avec sobriété. Émilie Darlier |
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