Joel Coen – Interview
Une force tranquille : c’est à peu près ce qui émane de la silhouette – pourtant fluette – puis du sourire – pourtant parcimonieux – de Joel Coen, au détour d’une interview parisienne en solo (son frère Ethan, d’ordinaire indissociable, était à Londres ce jour-là).
L’accueil enthousiaste réservé, notamment aux Etats-Unis, à leur nouvel opus, True Grit, en salle en France le 23 février, y serait-il pour quelque chose ? Avec ses dix nominations aux Oscars 2011, ce western aussi élégant que… fort, justement, confirme en tout cas l’impeccable parcours des “Coen brothers”, depuis 1985 et leur premier long métrage en forme de thriller, Sang pour sang. Sens du cadre et du récit, ironie, noirceur, ampleur et, pour finir, vibrations universelles : chaque fois, on se laisse piéger par la détermination paisible, imparable, de ces films, qu’ils tutoient les sommets (Barton fink, The Big Lebowski, Fargo, No country for old men et True Grit, donc), qu’ils déroutent un tantinet (The barber, A serious man) ou qu’ils déçoivent (Ladykillers).
Joel, l’aîné de cette paire prodigieuse, est donc bel et bien raccord avec ce flux assez inégalé de chefs-d’œuvre. Concentré, attentif, mais encore gentiment circonspect et farouchement indépendant : “je vis à New-York, donc assez loin de l’industrie du film“, s’amuse-t-il “by the way”. Champion de la litote, mais est-ce, là encore, une surprise ? Le reste, de fait, est à l’avenant…
Le western est l’un des genres fondamentaux du cinéma américain. Est-ce cela, ce retour à un certain archaïsme, qui vous a tenté en réalisant True Grit ?
Disons qu’au départ, il y avait en nous cette envie d’aller vers un style classique, au moins dans notre façon de réaliser. En revanche, je ne crois pas que sur le fond, on ait été tenté par l’aspect archaïque du western. C’est vrai, ce genre est souvent utilisé comme la genèse de quelque chose. Le mythe fondateur. Mais nous, ce qui nous intéressait dans cette histoire, c’est qu’elle se passait dans l’ouest des années 1870. On en aimait le côté très proche d’Huckleberry Finn ou de “L’ile au trésor”. En somme, son côté “Les aventures d’un enfant plongé dans un lieu exotique…”.
En parlant d’enfants, on pense davantage à “La nuit du chasseur” qu’à Huck Finn en voyant True Grit, non ?
Oui, parfaitement, c’est “la” vraie référence de notre film. Elle est très importante pour de nombreuses raisons. D’abord, c’est un grand film, du strict point de vue stylistique. Et puis cela parle d’enfants bien sûr, du bien et du mal… On a repris un hymne de ce film, très connu aux Etats-Unis, pour le mettre dans le nôtre. Comme un hommage…
Vous-même, lorsque vous étiez enfant avec votre frère, vous regardiez des westerns à la télévision ou au cinéma ?
Oui, enfin, plutôt des westerns de série B, si l’on peut dire comme ça ! En gros, on ne regardait pas franchement les films de John Ford !
En revanche, ceux de Sergio Leone, ça oui ! C’était le regardd’un étranger, très différent du regard américain sur ce genre précis, car ses films ressemblaient à des opéras, c’était magnifique ! Même si True Grit n’a pas de relation manifeste avec le cinéma de Leone, je dois reconnaitre que d’autres longs métrages que nous avons réalisés, eux, ont été influencés par lui.
Avez-vous, malgré tout, vu ou revu 100 dollars pour un shérif, le film d’Henry Hathaway avec John Wayne, la première adaptation sur grand écran du roman de Charles Portis, celui-là même qui vous a inspiré ?
Je ne suis pas particulièrement fan de ce film. Alors que l’héroïne du roman est une adolescente de 14 ans, et c’est cela qui, pour moi, est intéressant, son étrange maturité, Hathaway a fait le choix de prendre une actrice d’une vingtaine d’années. Bon, en même temps, ça n’est pas très important tout ça ! Je n’ai pas revu ce film depuis sa sortie, en 1969. Je ne m’en souviens quasiment pas. Ce qui nous intéressait, mon frère et moi, c’était le roman. Pas ce film.
C’est un livre que vous connaissiez depuis longtemps ? Que vous aviez envie d’adapter, peut-être, depuis un moment ?
La première fois que je l’ai lu, j’étais déjà adulte, c’était il y a une quinzaine d’années. Ce roman fait partie de la culture populaire américaine et, en même temps, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui, les jeunes Américains le lisent en masse ! En fait, en ce qui me concerne, j’ai commencé à y penser en tant que film lorsque je l’ai relu, récemment, à voix haute à mon fils. Là, je me suis dit que ça serait formidable de le transposer au cinéma. C’est un super bon roman ! L’histoire de cette jeune fille, qui est confrontée à toutes les violences les plus extrêmes, et qui, à 13, 14 ans est déjà, en quelque sorte, l’adulte de 45 ans que l’on retrouve à la fin, ça, c’est quelque chose que l’on ne retrouve pas dans les autres histoires écrites pour les enfants…
On est très content, bien sûr, de retrouver Jeff Bridges et Matt Damon, pour incarner deux des protagonistes principaux. Mais parlez-nous, aussi, de la jeune Hailee Steinfeld, qui interprète le personnage incroyable, en effet, de Mattie Ross…
On était un peu nerveux, vous pouvez l’imaginer, à l’idée de ne pas trouver une jeune actrice capable d’endosser ce personnage. Il y a eu des castings à travers tous les Etats-Unis, beaucoup dans le Sud cela dit, des milliers d’adolescentes… On n’en a vu qu’un faible pourcentage… Le principal problème, c’était le langage du livre et donc des dialogues. Il est assez formel, et il peut sembler un peu bizarre pour des oreilles contemporaines. De fait, 99% des filles que nous avons rencontrées n’étaient pas à l’aise avec. Alors que Hailee, elle, elle l’a été d’emblée ! Elle n’avait que 13 ans, mais lorsqu’elle est entrée dans la pièce, avec Jeff Bridges, pour l’audition, tout de suite on l’a sentie à sa place.
Pour finir, vous avez ouvert, récemment, le prestigieux Festival du film de Berlin avec True Grit, et une pluie de nominations aux Oscars vous attend… Comment vivez-vous cette reconnaissance disons… spectaculaire et unanime ?
C’est très gratifiant et toujours agréable, franchement ! Car je fais des films pour qu’ils soient vus. Or ces récompenses nous aident, en leur faisant de la publicité. Donc c’est bien. En même temps, ces récompenses sont-elles réellement basées sur le mérite ? J’avoue que mes sentiments sont assez partagés sur ce sujet… Disons que les récompenses que je préfère, ce sont celles que nous accordent nos pairs. Par exemple la Guilde des réalisateurs…
Propos recueillis par Ariane Allard
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