“Rodin et la danse”, l’histoire d’une passion
Un Rodin peut en cacher un autre… La nouvelle exposition au Musée Rodin montre à quel point Auguste Rodin était fasciné par le corps, la danse, et bien sûr par les danseuses. C’est par la danse que Rodin entra au XXe siècle, et donc en modernité. Sculptures et dessins en témoignent.
“Que le corps parle plus que les mots !” L’exclamation de Rodin sert de prélude à la première exposition du Musée Rodin explicitement consacrée à la danse. “Rodin et la danse” documente l’intérêt du sculpteur et dessinateur pour le geste dansé, et aussi pour les vedettes de la danse de l’époque, sur le pas d’un art qui était à l’époque en pleine mutation et porteur de promesses de modernité.
Le parcours commence donc par une évocation de celles qui ont compté pour Rodin : Loïe Fuller, Isadora Duncan, l’Espagnole Carmen Demedoz, dont on se souvient aujourd’hui surtout parce qu’elle fut une pionnière de l’aviation, et Alda Moreno, danseuse de cabaret et acrobate (mais en vérité Noémie Chevassier et donc bien française).
D’Asie venaient l’actrice et danseuse Ôta Hisa, dite Hanako, et la troupe du Ballet Royal du Cambodge, se produisant à Paris en juillet 1906. Et puis, un homme : Vaslav Nijinski. Rodin assiste, en 1912, à la première de l’Après-midi d’un faune, qui marque un tournant dans l’histoire de la danse.
Le corps et la danse fascinent Rodin
Tout témoigne ici de l’intérêt de Rodin pour la danse. Parmi les œuvres les plus anciennes de l’exposition, on trouve des dessins des années 1880, montrant des danses en ronde ou en groupe et la danse macabre. L’inspiration vient de rites religieux, de rondes ou de bacchanales représentés dans l’art de l’antiquité.
Et on peut admirer, en fin d’exposition, les cartons d’invitation nominatifs envoyés, entre autres, par Loïe Fuller et Isadora Duncan, les grandes pionnières de la danse moderne comme art permettant aux femmes de revendiquer la place de la femme. Car la danse incarnait la modernité artistique, un champ de recherche nouveau et émancipatoire, où les femmes s’expriment et inventent. La danse leur accorda la notoriété et la reconnaissance que le monde – et surtout le marché – de la sculpture, plus institutionnel et conservateur, continua de leur refuser.
Une danseuse de caractère
En réalisant une série de statuettes, Rodin étudie le corps tel un chirurgien surtout sur Alda Moreno, l’égérie des études de mouvement que Rodin réalise en terre cuite et qu’il nomme de A à I, établissant une véritable grammaire du mouvement. La danse ainsi modelée se situe loin du ballet classique.
C’est une danse de caractère qui connaît des appuis au sol, des éléments folkloriques (les sauts !) et acrobatiques et une architecture du jeu de jambes, l’une servant d’appui et l’autre prête à bondir et annonçant un mouvement imminent ou en fin de développé, racontant le mouvement parcouru. Ces études suivent de façon organique les dessins de Rodin réalisés à la fin du XIXe siècle qui glorifient le corps se lançant dans des mouvements qui défient la gravité.
Et puis, Nijinski…
Les études en terre cuite sont le fond de la compréhension cinétique auquel Rodin donne une forme artistique achevée, dans des œuvres pleines de force et de grâce, comme Le Danseur (dit Nijinski), réalisé en 1912, où l’irrégularité de la chair représentée prend des allures véritablement impressionnistes. Et si l’étude de la danse change le regard de Rodin sur le mouvement et le corps, l’exposition évoque aussi les sources partagées situées dans l’art grec, qui inspira Rodin autant que Nijinski et Isadora Duncan.
Le mérite de Christine Lancestremère, commissaire de “Rodin et la danse”, est justement de ne pas présenter un catalogue d’œuvres en lien avec la danse, mais d’avoir travaillé sur les liens et les inspirations, de l’Antiquité à l’Asie, du regard de Rodin sur le corps à ses modèles. On y découvre un Rodin analytique, terre à terre, simple, parfois brut. Un Rodin à l’œuvre, dans une passion pour la danse qui fait suite à celle pour Camille.
Thomas Hahn
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