Georges Brunon – un questionnement sur la vie
Après les Beaux-Arts en 1947 et depuis ses premières expositions en 1953 à la Galerie Saint-Placide (Paris) en passant par les Etats-Unis, Londres et le Japon, l’ami d’Yves Klein a fréquenté les lieux emblématiques de l’effervescence créatrice tels Saint-Germain-des-Près et Montparnasse, y côtoyant César, Dimitrienko, Kawun, Audiberti et écrivant même des chansons pour Edith Piaf et Georges Moustaki.
Mais tout en rencontrant et dialoguant avec ses contemporains, il n’a cessé de poursuivre sa propre quête et, quitte à avancer à contre-courant ou dans des espaces hors mode, il a construit et affirmé son œuvre picturale en ne se ralliant à aucune école. Georges Brunon, né dans le Massif Central, a de son propre aveu « appris à peindre chez les paysans ». Pour lui, l’art n’est pas un concept mais une mise en forme d’un rapport particulier au monde et au vivant. Et cette approche se traduit par une radieuse et irradiante omniprésence de la nature dans son œuvre.
La nature comme source première de la création
Nul besoin d’appartenir à une quelconque école artistique, la peinture n’est pas l’illustration d’une théorie mais une vision singulière du monde. L’œuvre de Georges Brunon prend racine dans la recherche de l’origine même du cosmos et dans le spectacle qui s’offre à nos yeux. C’est-à-dire dans le vivant et dans la terre, les animaux et la matière, ses formes et ses couleurs, arbres, fleurs, cascades, sable et volcans.
Parce que l’expérience vaut mieux que les théories, c’est au contact direct de la nature, à travers la contemplation et sans rechercher impérativement « l’expérience plastique », que Georges Brunon a puisé son inspiration. Il assume ainsi le fait de s’être concentré dans les paysages du Cantal ou d’Auvergne alors que sa production se diffusait amplement outre-Atlantique et au Japon. Ses larges toiles offrent un regard lumineux et optimiste qui met en relief un rapport à l’universel. Peu importe l’art officiel et la pensée unique, peu importe les attentes du puissant « marché de l’art » parfois bien loin des attentes du public, le peintre préfère l’émotion et la méditation.
C’est à travers une démarche de reconnexion avec la vie et avec ses énergies qu’il cherche à « revivifier celui qui les regarde ». Selon lui, dans un monde à « l’architecture de salles de bains » qui se plaît à créer de la froideur, il faut du vivant et de la chaleur. A l’art épuré à outrance, Georges Brunon préfère la luminosité, la densité, l’élan offert par les éléments et la force en mouvement dans tout ce qui nous entoure.
Le travail sur la spirale
N’hésitant jamais à se réinterroger lui-même sur le chemin qu’il trace, Georges Brunon, après des expositions à grand succès notamment à New York et à Londres, est confronté aux débuts des années 70 à un besoin intime de poursuivre sa voie et ses engagements tout en les dépassant.
C’est dans cette constante recherche d’un art en lien avec la vie qu’il découvre alors l’aïkido, sport de combat japonais qu’il pratique lui-même. Interpellé par la gestuelle du corps induit par cette activité, il en perçoit physiquement le sens et en saisit toutes les dimensions. A tel point qu’il en répercute les bases sur son art. Cette méthode particulière fondée sur l’amplitude et la circularité des mouvements est ainsi à l’origine d’une nouvelle étape dans sa peinture, axée sur la figure de la spirale.
En effet, les spirales formées par le corps deviennent les spirales du crayon de l’artiste, mû par une volonté d’accéder au monde et à sa dynamique. « C’est incroyable, l’aïkido me fait dessiner des pommes ! ».
A partir de ce constat franc et concis, la linéarité de la perspective laisse place à la rondeur et à un nouvel espace à la fois vide et empli, comme chargé mystérieusement du mouvement même qui est au cœur de la vie. Ce travail sur la spirale offre un résultat qui se rapproche parfois de la calligraphie chinoise et a permis de mettre au point une approche particulière du dessin, qui semble imprégné du rythme vital.
« L’Art, c’est chercher le lien avec la vie »
Selon Georges Brunon, la création en général, qu’il s’agisse du théâtre, de la littérature ou de la poésie, doit commencer par un questionnement, puis transmettre, provoquer et trouver un écho.
Il a développé dans des revues et à travers plusieurs ouvrages ses conceptions artistiques qu’il continue à creuser, à affiner et à affirmer. « Dans un monde désespéré, je veux retrouver la place d’un art qui aide à réintégrer le sens de la vie ». Pour rester en adéquation avec sa vision humaniste plus en prise avec la question de l’homme dans l’espace Univers que celle de son positionnement politique ou social, Georges Brunon assume pleinement le questionnement de l’artiste qui doit exister par lui-même plutôt que par sa place au sein d’un courant.
« Quelle est la question que les artistes posent au monde, au moment où le monde est ce qu’il est ? », Georges Brunon, s’il pose des questions autant que tout artiste se doit d’en poser, en formule une essentielle, à savoir « Où est la vie ? ». Et il répond par le refus des concepts figés « parce que la vie, ça bouge ». A l’image du cubisme et des œuvres de Braque qui ont su maintenir leur présence, ce qui relève que l’authentique traverse le temps alors que les concepts meurent. Si l’on se situe simplement dans le présent, dans l’instant, « ça fout le camp », explique-t-il. Sans détours et résolument campé face à l’immensité spatiale et temporelle autant que chacun de ses tableaux, Georges Brunon ne craint pas les profondeurs et affirme que « ça n’est pas la forme qui crée le sens, mais plutôt une appréhension existentielle qui permet de créer. »
Dans la société actuelle qui ne conduit pas au bonheur mais davantage à l’interrogation et à la survie, l’art ne consiste pas « à inventer des nouveaux trucs » et l’artiste ne peut se satisfaire d’être doué ou de posséder une technique. Le style et la présence, à l’instar de Cézanne, sont primordiaux, et l’art doit permettre le retour à une réflexion sur la vie et les forces vitales.
« Seul on ne change pas le monde, mais on fait partie d’un mouvement, on prend place dans un monde souterrain qui cherche une réponse parce que la survie ne suffit pas aux hommes. »
En parallèle à la peinture, Georges Brunon a également écrit plusieurs recueils de poèmes, parfois avec ses propres dessins. Et ces textes reflètent sur un autre mode la richesse d’un cheminement artistique qui embrasse la nature environnante et nous en transmet la vibration.
Avec la légèreté d’un mouvement qui ne s’interrompt pas, à l’image de la spirale, Georges Brunon continue de dérouler et de transmettre généreusement l’intense palpitation qu’il perçoit dans la nature et qui possède des forces de beauté et de puissantes sources d’espoir.
Cassandre Bournat
Publications :
Au Soir et au Matin, dessins et poèmes, Cahiers bleus/Librairie bleue
Considérations sur l’Art primordial,
L’Art et le feu créateur, Editions du Dauphin
La cité impérieuse, saga, Les Deux Océans
L’Art et le vivant, éveil à la création, Editions Dangles
Présence de l’image Essence de la terre, Les Deux Océans
Les noces du cerisier, poèmes et dessins, Librairie bleue
Les dits du cerisier, recueil de poèmes, dessins et écrits, paru aux éditions ZurfluH
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