Miss.Tic
Miss.Tic |
Pourquoi avoir pris le nom du personnage de Walt Disney, Miss Tick, détourné en Miss.Tic ? Quand j’ai commencé, bien évidemment les artistes de rue prenaient des pseudos pour ne pas mettre leurs vrais noms sur les murs. Il s’agissait de se créer un personnage et de se cacher derrière. En trouvant mon nom, j’ai eu envie de marquer le fait que j’étais une fille, et de souligner l’aspect « sorcière » que l’on prête souvent aux femmes. De plus le jeu de mot me séduisait. Parlez-moi de l’exposition « Muses et hommes », en 2000, où vous détourniez des classiques de la peinture, et qui vous a permis d’accéder à la notoriété. Cette exposition conjointe à la Fondation Ricard, à la marie du 20ème et sur les murs du 20ème arrondissement a été une réponse à la condamnation que je venais de recevoir. J’avais été condamnée comme artiste délinquante par la justice de mon bien-aimé pays. Ce n’est pas la rébellion qui m’intéresse, juste le fait de m’exprimer. Je ne veux pas qu’on me bâillonne. Pour détourner cet état de fait, pour continuer à m’inscrire dans la ville, sans avoir les problèmes inhérents à mon travail, j’avais deux solutions : ou j’arrêtais et je ne faisais que des livres, des estampes, des œuvres dans mon atelier ; ou bien je restais présente sur les murs de la ville et je demandais, tout simplement, l’autorisation. Il fallait peut-être que les temps soient mûrs, que j’en passe par là pour aboutir à cette réflexion. C’est comme ça que j’ai réalisé ce projet, de manière pédagogique : j’étais tellement rejetée après ce qui m’était arrivé, j’ai décidé de faire : « du musée à la rue, de l’art au musée ». Ca m’amusait de revisiter tous ces classiques. J’ai appris beaucoup de choses en me documentant sur l’histoire du tableau, du peintre… je m’attaquais à l’intériorité en dessinant à la manière de Caravage ou Botticelli. Donc merci le procès, qui m’a fait une campagne de pub, assez cher, mais efficace. Comment réagissez-vous aux critiques qui vous reprochent d’avoir abandonné larue pour la galerie ? En réalité ce problème-là, je m’en fous. Je réponds aux critiques qu’ils sont jaloux ou envieux, que ce sont des fâcheux et des râleurs. Être enfermée dans la rue, c’est quand même un comble !! Ils ont le droit de ne pas m’aimer, mais je fais ce que je veux, dehors, dedans. Ça fait autant de temps que j’expose dans la rue qu’en galerie. De toute manière, ce que je fais n’est pas de la magie : même si je m’appelle Miss. Tic et que je suis un peu sorcière, je n’arrive pas avec ma baguette magique, j’exécute un grand travail de dessin en atelier, avant de le réaliser dans la rue. Je suis d’abord artiste, avant d’être street artiste. Les chanteurs dans le métro ne sont pas des chanteurs DE métro. Ils ont le droit de faire un album ou un concert ailleurs. Il vous est arrivé de vendre également votre matériel, comme les pochoirs. Très rarement. Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait que les footballeurs qui gagneraient de l’argent. Je n’ai pas de scrupule : tout le monde veut avoir de l’argent. Comme tout le monde, je vis dans la société, je paye des impôts… mon travail a une valeur, pourquoi les autres gagneraient-ils de l’argent et pas moi ? Tout a une valeur, l’œuvre mais également le matériel qui a servi à la concevoir. Ainsi, j’ai acheté des palettes d’artistes à des copains. Je pense que c’est très français, cette critique immédiate de la réussite… Je fais même des produits dérivés, par exemple des stickers à 15 euros chez Leroy Merlin, que les gens rapportent chez eux. Faire un livre à 10 euros, ou de la carte postale, c’est super. J’ai des amis artistes qui sont enchantés, qui trouvent que ça les ouvre à autre chose, que la persévérance paye. Artiste, c’est un métier comme un autre : fini le temps de l’artiste maudit au fond de sa chambre de bonne. Je fais tout ce que j’ai envie de faire, au croisement des différentes disciplines. J’ai même vendu une petite culotte à une enchère dirigée par Pierre Cornette de Saint-Cyr ! Pour une cause humanitaire ? Pour ma cause !! La cause des filles sans culottes. Non je plaisante, c’était effectivement pour une association. Bon, la culotte était quand même imprimée avec des motifs Miss-Tic… Et je l’ai même retirée en direct sur scène. J’ai fait comme Madonna ! Pierre Cornette de Saint Cyr était ravi. La nouveauté de « A la vie à l’amor », c’est la mise en scène des couples. Mon travail a déjà été ponctué d’hommes ; la seule nouveauté c’est d’associer homme et femme ensemble, d’abord pour changer, et puis pour créer une dynamique narrative. Avec mon seul triptyque texte-image-signature, il y a moins d’histoire, tandis que là il y a une forme de mise en scène. Et j’ajoute que depuis quelques temps j’ai une super source d’inspiration à la maison. J’avais d’autres modèles un peu en surpoids avant, mais là, Musclor est arrivé dans ma vie ! J’inverse les rapports du peintre homme et de son modèle femme ! On avance ! Quel est votre définition du féminisme ? Avec ce que je crée, on me dit « Vous êtes féministe. » Alors non, je ne suis pas une militante féministe, par contre il y a des causes que défendent les féministes auxquelles j’adhère, il y a des combats encore à mener pour que l’on trouve notre juste place dans le monde, dans notre société. J’ai ce sentiment que dès qu’on est une femme qui pense ou qui s’exprime, on est féministe. Je préfère dire que je suis féminine, que je crée d’où je suis, à partir de ma féminité. Mais en même temps, on me pose cette question à moi, et on ne la poserait pas à un homme. Ça aussi ça m’énerve ! Le milieu des arts plastiques reste excessivement masculin. Parlez-moi de l’évolution des supports. Lesquels se sont révélés les plus délicats ? Depuis toujours, j’aime bien changer. Je ne me voyais pas faire de la palissade pendant vingt-cinq ans. J’avais commencé sur du bois et sur du papier, puis je me suis lassée. J’ai donc essayé la tôle, l’estampe, la sérigraphie, la gravure, la lithographie… comme une artiste plasticienne classique. J’ai un peu peiné sur les affiches lacérées car mouillées, le support est très lourd !! Mais c’est mon Gymnase Club, ce sont les pompes que je ne fais pas le matin. Dans la préface de « A la Vie à l’amor », Pierre-François Moreau écrit que je travaille « assis-debout-couché ». C’est une belle expression. Qu’est-ce qui préside à vos choix de couleurs, en majorité le rouge et le noir, couleurs fatales ? Certains artistes sont très éclectiques, passent d’une chose à une autre : moi je suis un peu obsessionnelle, même typo, mêmes couleurs… des couleurs représentatives dans la rue, signalétiques. Si je mets un jaune ou un orangé, ça se verra moins. Je suis une enfant de la publicité et de la télé : j’ai compris que les choses visibles doivent être lisibles. Cela doit être facilement reconnaissable, j’ai mis vingt-cinq ans à ce que ça rentre dans la tête des gens ! Je mets d’autres couleurs dans mes affiches en galerie, mais bien évidemment, les gens voient et connaissent plus mon travail dans la rue. C’est pour ça que je ne lâche pas la rue non plus, car j’aime travailler pour des gens qui n’ont pas l’accès ou le désir de venir en galerie. Propos recueillis par Mathilde de Beaune A la vie à l’amor [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=EW1UrRuaR_I[/embedyt] |
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