L’ATLAS se fait le prisme du monde
L’ATLAS se fait le prisme du monde |
L’ATLAS, la jeune trentaine, artiste parisien montant, a le regard bienveillant, l’air passionné, passionnant et le fond humble. Sa démarche est riche et pleine d’aspérités. En saisir les complexités, c’est effeuiller les strates de son évolution artistiques, ouvrir les poupées gigognes de son parcours pour arriver au germe d’une proposition calligraphique sinon géographique. Récit.
L’ATLAS raconte son dessein d’artiste avec complaisance. Attiré depuis toujours par les cartes et le voyage, comme une évidence, il doit son nom à cet univers au propre comme au figuré. Enfant, il possédait nombre d’ouvrages sur le cosmos, la terre et la géographie. Visuellement, c’est une esthétique qui l’inspirait et qui a prédestiné son futur artistique. « Je suis un grand jouisseur optique », confie-t-il. La culture Hip hop dans laquelle il gravite dans les années 1990, l’amène à commencer le graffiti. Il démarre des études d’Histoire de l’Art et d’Archéologie en 1997 et s’intéresse par ce biais à la calligraphie arabe et chinoise. C’est une invitation à se former à l’art de l’écriture dans l’Atlas, au Maroc, chez un calligraphe rencontré à Toulouse qui marquera une inflexion significative dans le chemin de l’artiste. Lui qui utilisait déjà « L’ATLAS » comme nom de taggeur, pour la dimension universelle et la représentation géographique qu’il s’en faisait, se retrouve par coïncidence au milieu du massif montagneux nord-africain à étudier un art qui deviendra déterminant. Cette relation de maître à élève et l’enseignement presque ancestral qui en découle, mettent le jeune étudiant plus à l’aise que sur les bancs des vastes amphis de la fac qu’il décide d’abandonner. À l’université, L’ATLAS se nourrissait de savoir, certes. Mais cet excès de références lui semblait aussi être un frein à la création. Et inconsciemment, l’idée de partir vers d’autres horizons naissait déjà. Quatre mois au Maroc, le déclic, et une dynamique était lancée. À son retour, L’ATLAS, fils d’un grand monteur du Septième art français, commence des stages dans le cinéma dont les matériaux et les techniques de l’époque argentique, notamment l’adhésif, l’influencent. Il s’inspire du montage et aime l’idée de coller deux éléments pour en créer un nouveau. Au début des années 2000, L’ATLAS est donc intermittent et travaille sur un film par an, lui laissant la possibilité de poser les bases de son identité artistique. À cette même période, la justice vient tourmenter son activité de graffeur, qu’il délaisse pour commencer à marquer le sol parisien de ses boussoles. Une façon pour lui de duper ses persécuteurs et de continuer, surtout. Son nom « L’ATLAS » reste malgré tout inscrit dans ses roses des vents idéographiques. Mais il y voit une ouverture nouvelle vers les autres, un acte moins égocentrique. Il donne le nord, et ce dans un rapport à la ville. Ses boussoles trouvent leur origine dans l’apprentissage des codes géométriques du Koufi apprises au Caire lors d’un second voyage d’initiation à la calligraphie en 2001. Il adapte cette technique à l’alphabet latin toujours en quête d’une écriture universelle, “atlasique”, juste milieu entre les phonèmes et les idéogrammes. Son arrestation le conduit à vouloir continuer à produire dans la rue dans une même énergie avec ses amis et anciens taggeurs, TANC, SUN7, et BABOU, au sein du Collectif V.A.O. (Vandalisme Artistique Organisé) fondé dans les années 1990. En 2001 et 2002, L’ATLAS produit de grandes affiches représentant des labyrinthes (toujours formés à base de lettres et de mots) et rencontre alors Jean Faucheur, l’un des six « Frères Ripoulin », auteurs de grandes campagnes de recouvrement publicitaire par la peinture dans les années 1980, « Fauché l’espace publicitaire ». D’une feuille A4, il passe à un format 4/3 mètres et s’expose dans la rue où il choisit des emplacements pour coller ses affiches. Intérieur/extérieur L’étape suivante de son parcours artistique est marquée par le début d’un travail en atelier. Il s’installe à La Forge avec TANC et SUN7 et se pose alors la question du sens entre l’action dans la rue et un travail d’atelier qui lui paraissait classique. Ils cherchent ensemble à bâtir des projets comme des allers-retours entre atelier et rue : une dynamique artistique de l’intérieur vers l’extérieur. L’espace-temps est le leitmotiv central de l’œuvre de L’ATLAS. Il interagit avec son environnement, dans le cadre urbain et dans ses déambulations. C’est le concept même de ses Toiles errantes qu’il balade avec lui au gré de ses visites. Il photographie ses toiles dans ces lieux qui l’inspirent, comme il s’arrêtait sur un beau spot à tagger. L’échelle internationale en plus. Ces images ont pour finalités d’être recueillies dans un Atlas géographique où les cartes seraient des photos de paysages urbains. « Une mappemonde concrète, une cartographie intérieure » explique l’auteur. Il illustrerait ainsi une quarantaine de villes via presque 400 clichés. L’ouvrage qui est édité aux Éditions Lutanie est prévu pour le Mois de la Photo 2011, et à l’occasion des 10 ans de sa carrière. Le très prolixe L’ATLAS souhaite confronter deux images, deux villes avec une unité d’atmosphère, une idée d’universalité, et d’ambiance, l’ambiance de ces lieux souvent abandonnés, en transition ou menacés de disparaître. L’ATLAS imagine une « mémoire du monde ». Même si l’exposition de la galerie G ne présente pas essentiellement des photographies, c’est l’occasion pour L’ATLAS de mettre en valeur ce versant de sa production. Les lieux qu’il a figés tendent à ne plus exister, c’est donc une trace qu’il offre ici. Il utilise le noir et blanc qu’il veut narratif et nostalgique. Ses photographies tiennent un peu de l’art éphémère, de l’art in situ et de la performance, ces courants qui sont déterminants pour L’ATLAS. Lorsqu’il capture ses propres toiles en qualité de témoins de leur contexte, L’ATLAS se donne juste une excuse pour pratiquer la photographie, lui qui avant de tagger, tout jeune, photographiait déjà les graffitis. C’est le médium qui lui a ouvert l’œil avoue-t-il. Néanmoins, il ne se revendique pas photographe. Ni peintre, ni calligraphe, ni taggeur non plus. Les cases l’angoissent, alors il brouille les pistes. C’est pourquoi, il y fait intervenir sa peinture dans sa démarche photographique. Et le plus important semble pour lui être le processus du voyage à travers le monde. Être en action lui-même, voilà sa manière de vivre. Il filme également ces périples aux allures de performances. Cette matière audiovisuelle sera peut-être l’objet d’une monographie visuelle, qui sait. Mais aujourd’hui, elle risquerait d’ôter un peu de mystère et de poésie à ces images. Extérieur/intérieur L’artiste ne voit pas d’intérêt à se résoudre à peindre en atelier. L’ATLAS a un besoin invétéré d’ouverture et de perspective. Dans une même visée, il accouche d’un autre projet : les empreintes de bouches d’égouts. L’ATLAS renverse les codes, il amène la rue dans les galeries ou les musées. De l’extérieur vers l’intérieur. Influencé par le Nouveau réalisme et l’Arte povera, il recouvre ces surfaces de peinture chromée avant d’y déposer sa toile noire, sur laquelle il s’allonge pour un meilleur transfert. Ainsi, il extrait du réel dans le concret du quotidien, qu’il convertit en art. Et chaque bouche d’égout est unique. Il s’agit d’un moment et d’un lieu donné dans la vie. Derrière chacune de ces toiles, il inscrit le point GPS qu’il a détourné en « Ground Print System ». C’est la possibilité de produire dans toutes les villes du monde. L’ATLAS se nourrit des symétries qu’il puise dans l’architecture urbaine. Les formes des bouches d’égout sont différentes dans toutes les villes, et c’est ce qui décide, consciemment ou pas, des prochaines productions. Il donne tout son sens au flux réciproque entre le travail d’atelier et les actions directes. Réussite et perspectives philanthropiques L’ATLAS est aujourd’hui représenté par quatre galeries à Paris, Marrakech, Milan et New-York. Il a déjà un très grand nombre d’expositions à son actif et les propositions continuent de fleurir. Il a su imposer son art et gagner en reconnaissance, mais une certaine forme de gloire l’effraye. Il veut que rien ne lui échappe. « Produire des œuvres en atelier, atteindre une cote, s’acheter un loft et emmerder le monde entier ne m’intéresse pas », lance L’ATLAS, qui ne projette son travail que dans « l’humain », lui qui aime à vivre son art avec ses amis et les gens de la rue. Une finalité simplement personnelle n’aurait pas de valeur aux yeux de cet altruiste. Il prône un souci d’indépendance, la sienne et celle du mouvement auquel il appartient, bien conscient que l’art éphémère a le vent en poupe. Il en craint les dérives. Il situe son travail autant dans la continuité du graffiti que de la calligraphie, que de l’abstraction géométrique, que de l’art optique. Il ne peut pas se convaincre à faire un choix radical. Il aimerait maintenant profiter de sa notoriété pour obtenir des autorisations et réaliser des projets dans la rue avec plus d’impact – à l’instar de l’œuvre participative construite sur la Place Beaubourg par des enfants, initiative du Centre Georges Pompidou en 2008 – pousser les portes des musées, et voir comment ce mouvement s’épanouit. Le Street Art est le seul grand mouvement depuis le Nouveau réalisme, juge L’ATLAS. Il voudrait que les Institutions l’entendent et influent sur l’entrée dans l’Histoire de ce mouvement. « Avant que les acteurs ne soient morts », ironise L’ATLAS. Il y a la trace d’un mur aux Charbons sur lequel tous ont collé leurs affiches, L’ATLAS y a gravé « I Was Here ». Les lettres sont remplies du fond, de toutes ces affiches. Pour L’ATLAS, c’est biographique, c’est l’histoire de l’art éphémère à Paris. Une pièce historique. Les choses se sont déclenchées pour L’ATLAS, il sent l’espoir poindre, alors il parie sur ce qui l’anime, quitte à se mettre en péril. Aujourd’hui, s’il avait de l’argent, il réaliserait des documentaires. L’ATLAS a l’âme d’un « archiviste constant ». Actuellement, il filme les biffins de Belleville, lui qui a un regard social sur ce qui l’entoure. Très sensible à la réalité de son environnement, il ne peut se résoudre à être juste un artiste. Au-delà de l’esthétique, « Atlas » symbolise une ouverture vers le monde, un engagement, un altruisme et une humanité. Des notions qui lui collent à la peau, dont il a fait un projet global, le projet d’une vie. Le succès le rappelle sans cesse à lui-même et impulse une envie de mettre son art à contribution pour ceux de sa rue, comme certains l’ont fait pour lui. Bien sûr, L’ATLAS n’a pas l’ambition de sauver le monde, il agit à l’échelle locale, son quartier, Belleville. Depuis quelques années, son ami Salim, 16 ans, vient peindre dans leur atelier, les artistes lui donnent des petites toiles et l’exposent dès qu’ils le peuvent. Pour L’ATLAS, l’essentiel est de « ne pas être seul dans son délire ». L’art et l’artiste ne font qu’un. Et forment l’homme. L’ATLAS, l’homme, revêt l’habit du médiateur dès qu’il le peut. Sa nouvelle cote le lui permet, il a acquis une légitimité qui le laisse agir pour les autres. Il sent qu’une transition a lieu. Mais ne perd pas de vue son moyen : utiliser l’espace. Hélène Martinez A découvrir sur Artistik Rezo : |
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