Par l’intermédiaire de particules adhésives qui envahissent l’espace urbain, Erell donne vie à une matière en apparence inerte. Rencontre.
Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis artiste designer. J’ai commencé, très jeune, par le tag et le graffiti. Initié à cet univers par mon beau-frère qui taguait, je faisais mes premiers lettrages sur des cahiers en CM1 ! Plus tard, alors que je taguais depuis plusieurs années, j’ai commencé à encercler mon tag afin de le rendre plus visible parmi les autres tags. De là, je me suis demandé comment créer une forme. Inspiré par le travail d’Olivier Stak, j’ai essayé de logotiser mon tag, afin de créer un emblème, être plus identifiable. C’est ainsi que sont nés mes motifs actuels, alors que j’étais au lycée, et ils sont devenus mon écriture, ma signature. C’est donc une déconstruction du tag qui m’a permis de mener une réflexion sur l’identité.
Comment as-tu fait évoluer le motif d’origine ?
J’ai fragmenté ce motif d’origine en “particules” afin de le rendre évolutif et garder une possibilité de composition et d’adaptation au support. Aujourd’hui, avec mes deux formes de particules, j’ai identifié une quinzaine de compositions différentes, sachant qu’il existe une composition pour laquelle j’ai également quatre variantes infimes.
As-tu différentes méthodes d’intervention dans la ville ?
Oui, aujourd’hui j’ai trois manières d’agir différentes. Tout d’abord une action qui s’apparente au tag : j’ai un motif que je pose comme une signature, partout, rapidement et sans recherche de construction. Il y a également des compositions que je fais sortir de grilles, de trous, des interstices dans les murs, etc. et qui traversent le mur, je joue avec le support. J’appelle ces compositions des “proliférations” ou “contaminations” (j’ai tout un jargon qui me permet d’accentuer le côté vivant !). Enfin, j’ai développé plus récemment un nouveau type d’intervention que j’expérimente en face de chez moi à Lyon : je compose des formes géométriques que j’appelle “expansions”. Il s’agit d’une forme concentrique que je fais grossir régulièrement. Je commence par poser les motifs du centre, je laisse passer quelques jours, je colle de nouveaux stickers, je laisse à nouveau passer un peu de temps et je recommence le processus. Aujourd’hui la pièce doit faire environ trois mètres de hauteur.
Quelle est l’idée derrière les processus de prolifération et d’expansion ?
Comme j’utilise une technique éphémère, j’identifie mes motifs adhésifs à des organismes vivants qui envahissent la rue. C’est une manière pour moi de parler de la nature en ville, thème qui m’intéresse beaucoup. J’ai commencé les recherches sur ce thème lorsque j’étais à l’École Supérieure d’Art et de Design de Saint-Étienne – j’avais gagné un concours de design en créant une forme de pavé particulière qui permettait de laisser une place aux plantes. Les proliférations et expansions sont un moyen d’amener du vivant par quelque chose de graphique, comme le tag qui, pour moi, manifeste une certaine vitalité. Avec les expansions, l’idée est également de travailler sur la notion de temporalité : je colle, je laisse passer du temps et je reviens. Je me dis que les gens qui passent peuvent être interpelés en voyant apparaître la forme du jour au lendemain, en la voyant grandir. L’idée est de la faire vivre, comme une plante, y aller régulièrement, l’entretenir, la raccourcir, la faire croître, puis éventuellement la déconstruire. J’aimerais trouver quatre ou cinq lieux dans Lyon et les faire évoluer jusqu’à ce que ça disparaisse complètement.
Comment as-tu choisi ton nom ?
C’est simplement mes initiales en phonétique ! J’ai retenu ce nom en 2010 à l’occasion de mon premier festival, “Les grandes traversées” à Bordeaux – édition “Interactive design”, dont le commissaire était Mark Jenkins.
Tu t’es défini en tant qu’artiste designer. As-tu toujours une activité dans le design ?
Pas vraiment ! Je bricole seulement des choses pour moi. Ca fait un an et demi environ que je suis artiste à part entière. J’ai commencé dans le cadre du Festival Street-Art à Evry en 2015, sous le commissariat de Nicolas Laugero-Lasserre, et j’ai enchainé avec un solo show à la galerie Artistik Rezo en 2016. En revanche, tout ce que je fais est très influencé par ma formation de designer (et le CAP d’ébénisterie pour le travail du bois). Les techniques que j’utilise, telles que le fraisage numérique ou la découpe laser, sont des techniques que j’ai apprises quand j’étais à l’école de design.
Tu as récemment introduit de la couleur dans tes peintures, comment procèdes-tu ?
Effectivement j’ai commencé il y a quelques mois à introduire des touches de couleur. J’ai envie de travailler la couleur, mais je veux que ça apporte quelque chose. Comme mon travail peut être très minimal, l’introduction de la couleur ne doit pas être gratuite. C’est aussi une manière de créer des contraintes. Pour cela, je m’inspire de la méthode développée par Jean-Philippe Lenclos. Il analyse la ville, identifie les éléments qui ressortent le plus d’une façade et crée des gammes de couleurs et de formes typiques de la ville en question, qui peuvent être utilisées par les architectes ou les urbanistes afin de les aider à contextualiser leurs travaux. Cette notion de contextualisation est importante dans ma peinture. Pour moi, la couleur doit aider la pièce à s’intégrer dans le paysage.
Est-ce de cette manière que tu as choisi ta couleur pour le mur que tu as peint à Sète dans le cadre du K-Live, édition 2017 ?
Oui tout à fait. J’ai pu faire un repérage à Sète quelques mois auparavant. Je suis venu avec un nuancier et j’ai “prélevé” quelques teintes. Ma peinture fait complètement écho à mon observation de l’architecture de la ville. Par exemple, le bleu que j’ai utilisé provient d’une teinte de volets et le blanc rappelle les encadrements de fenêtres de Sète qui sont tous peints en blanc. Les losanges noirs quant à eux sont inspirés des fenêtres situées sur le bas du mur. Enfin, l’échelle de mes motifs découle de la taille des encadrements de fenêtres à Sète qui font toujours entre 15 et 20 centimètres. J’ai ensuite travaillé en contre-forme pour laisser apparaître la matière du mur. J’ai prévu de faire une peinture sur bois qui soit inspirée de ce mur. J’ai un vieux chêne avec des rainures assez visibles qui provient d’une table que j’ai délignée. J’aimerais le peindre en reprenant les proportions et les couleurs de mon mur à Sète. Le support semble avoir une importance majeure dans ton travail… Oui, je passe beaucoup de temps pour préparer mon support, que ce soit pour le bois ou le béton. Dans les peintures réalisées sur bois, le support me permet de composer la grille qui structure mon travail. Ensuite je joue avec cette grille par la peinture. Pour moi, c’est la matière qui donne l’âme à la pièce. Par la peinture je la signe.
Quelles sont les directions dans lesquelles tu souhaites aller aujourd’hui ?
J’ai envie d’approfondir les différentes expérimentations que j’ai commencées. Pour le travail d’atelier, je souhaite aller plus loin dans le travail de la matière et également expérimenter d’autres techniques, par exemple à partir de polaroïd. Dans la rue, c’est l’utilisation de la couleur et les protocoles que j’aimerais développer. L’idée des protocoles c’est d’avoir une méthode que tu déclines, une manière d’aborder la rue. Il y a les expansions, dont nous avons déjà parlé, et les “mimesis”. J’ai fait une seule mimesis à ce jour : à côté d’un tag peint en blanc sur un mur, j’avais repris sa forme globale grâce à des motifs blancs.
Street art – est-ce un terme qui te correspond bien ?
L’étiquette, ça m’est égal. C’est très difficile de trouver le bon terme. Art contemporain urbain peut-être ? Dans l’art contemporain c’est souvent la démarche qui est intéressante. Dans ce que je fais aussi la démarche est importante, mais le résultat est graphiquement plus accessible que dans certaines pièces d’art contemporain. Il y a plusieurs degrés de compréhension dans ce que je fais.
Pourrais-tu citer un ou plusieurs artistes qui t’inspirent ?
Il y en a plusieurs. Dans le domaine de l’art urbain, je dirais Stak, André, Zevs et So6. Et, au-delà, il y a Vasarely, Sol Lewitt, Carl Andre et, depuis peu, Josef Albers, théoricien de la couleur et enseignant au Bauhaus – donc important dans le design.
Est-ce que tu travailles en musique ?
Je travaille en musique de temps en temps. J’écoute de tout, mais principalement du hip hop (plutôt US des années 90, du genre de A Tribe Called Quest), du jazz (jazz radio par exemple) et de électro (ça dépend, des trucs calmes comme Nicolas Jaar et des trucs plus speed avec les Boiler Room par exemple).
Des projets ?
Je suis en train de travailler à la Station F, le plus grand incubateur de start-up au monde. J’ai également un solo show à la Galerie Artistik Rezo en septembre et une exposition à la Backside Gallery de Marseille fin octobre. A plus long terme, j’aimerais trouver une résidence d’artiste pour mener un travail sur la ville, ses couleurs, ses formes, ses matières. Mon idée serait d’avoir une production d’atelier issue de l’expérience d’une ville en particulier dans le choix des couleurs, des supports et des formes. Et ça me permettrait également d’envahir le quartier ou la ville concernée.
Marie-Fleur Rautou
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[Crédits Photo 1 : © Erell / Photo 2 : © Erell ] |