dAcRuZ : « il y a un message humaniste dans ma peinture »
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Marqué par ses nombreux voyages en Amérique du Sud, en Afrique, au Moyen-Orient et par sa rencontre avec les cultures ancestrales, il s’est forgé un style primitif urbain qui lui est propre. Bien connu pour avoir peint ses masques colorés sur de nombreux murs, dAcRuZ a également créé et développé l’incontournable événement Ourcq Living Colors à Paris. Il fait également partie des 11 graffeurs récemment sélectionnés dans le cadre du projet “Les oeuvres d’art investissent la rue” (11 fresques dans 11 arrondissements de Paris en 2016). Prolifique, l’artiste prépare actuellement une troisième expo en quelques mois à peine… Après celle de la galerie Clémouchka (Lyon, décembre) et celle de Anne & Just Jaeckin (Paris, janvier), il exposera aux côtés de son pote d’atelier Marko 93, du 24 mars au 04 avril, au Loft du 34 (34 rue du Dragon, Paris 6ème). dAcRuZ nous a reçu dans son atelier du 6B à Saint Denis. Rencontre !
Quel est ton regard sur tes premiers graffs ? J’observe mon évolution, avec du recul. Mes anciens graffs sont à l’image de ce que j’étais, dans l’inspiration du moment. Je n’ai pas forcément changé, ce sont des choses que j’ai développées et déclinées par la suite. C’est comme un grand appartement que je visiterais progressivement. J’ai pris le temps de faire le tour du propriétaire et aujourd’hui je commence à voir à quoi ressemble cet apart’. Les masques sont pour toi plus qu’une influence, une signature ! Comment cela t’est venu ? C’est la rencontre de plusieurs composantes dans lesquelles j’ai baigné : les séries télé des années 80, l’arrivée de certains dessins animés, et le fait de vivre dans un quartier cosmopolite : Ourcq, dans le 19ème arrondissement de Paris. Vivre là-bas était déjà une forme de voyage. L’arrivée du hip-hop au début de ma pratique du graff m’a également permis d’accéder à d’autres cultures. Que t’ont apporté les voyages, fondamentalement ? La remise en question de notre propre ethnocentrisme. Ca fait du bien de perdre les repères de son univers quotidien, de se confronter à une autre façon de construire la vie. J’ai pu réaliser cela pendant mes voyages, mais ça fonctionne également à quelques kilomètres de chez soi. Dans ta peinture, que faut-il voir au delà des images ? D’infinies choses. Ce qui m’intéresse, c’est ce que les gens vont m’apprendre de ma propre peinture, me permettant de la redécouvrir. Il faut toujours penser à une interaction avec l’environnement, les gens, l’architecture. Toutes ces données sont les composantes d’un travail sous-jacent qui n’est pas forcément visible. « Il y a une partie « vandale » spécifique au graffiti mais pour un passant, de la peinture dans la rue c’est simplement du street art ». Graffiti et street-art aujourd’hui, où en est-on ? Il y a parfois de petites querelles de chapelles, le graffiti ayant vu le jour avant le phénomène de street art. Nous, les graffeurs, avons fait partie des premières personnes à prendre possession de l’espace public à la fin des années 80 mais il ne faut pas tomber dans une forme d’aigreur, de « c’était mieux avant ». Je n’ai pas envie de perdre mon énergie à déterminer où chacun se place. Le graffiti fait partie de la mouvance street art, pour le meilleur et pour le pire. Il y a une partie « vandale » spécifique au graffiti mais pour un passant, de la peinture dans la rue c’est simplement du street art. Quelle est la part d’improvisation dans ton travail de rue ? Elle est variable, je peux aller jusqu’au free style total. Je pars souvent d’une esquisse, dont le résultat sera au final ressemblant, mais j’interagis toujours avec la rue. A contrario, sur toile, je pars d’une image assez réaliste pour la distordre. Quels sont tes endroits préférés pour peindre ? J’ai consacré beaucoup de temps au quartier de l’Ourcq dans le 19ème arrondissement de Paris. Mais j’aime découvrir des endroits en peignant, être stimulé, absorber de nouvelles informations, d’un endroit, d’une ville, d’un pays… je fuis la routine ! Tu as marqué le 19ème arrondissement de ton empreinte ! Il y a plus de 300 mètres de fresques rue Germaine Tailleferre, où se concentrent toutes les éditions du festival Ourcq Living Colors. En plus du festival, j’ai dû organiser ou participer à une trentaine de « jam festivals » illégales en dix ans, dans ce quartier. Comment est née l’aventure Ourcq Living Colors ? Le but à l’origine était de prendre possession d’un espace public laissé en jachère, de redonner des couleurs à un quartier en rénovation, investi par les pelleteuses. Au bout de sept ans de pratique dans le quartier, après avoir collaboré avec un tas d’associations, je me suis dit qu’il fallait un cadre juridique, associer différentes forces vives et développer l’événement, lui faire passer un cap. Le but était de faire prospérer ce musée à ciel ouvert. Peux-tu dresser un bilan des 4 éditions ? Ce festival est la partie émergée de l’iceberg. Cette semaine je menais par exemple un projet pédagogique avec une classe de CM1, non loin de mes fresques. Les élèves connaissaient donc déjà mon travail et m’ont offert des dessins. Voir cette matière réappropriée par des enfants, ce n’est pas anodin ! Tu travailles beaucoup avec les écoles, tu sembles aimer ! Les enfants avec qui je travaille voient mon travail depuis un certain temps. Mon univers coloré, qui semble naïf, leur plait. Ils sont acquis à ma cause, je peux donc les emmener un peu plus loin. Nous échangeons, il y a même chez les plus jeunes une logique pour percevoir les choses. Il y a toujours des chemins d’interaction riches pour moi et j’imagine pour eux également. « Ourcq Living Colors c’est un acte militant du vivre ensemble ! » Dis nous en plus sur ton quartier de l’Ourcq ! Là-bas c’est un peu le monde entier qui se croise. Il y a également la plus grande communauté juive d’Europe, des écoles catholiques, juives ou musulmanes et tout le monde peut s’arrêter devant les fresques et échanger. Ce n’est pas le choc des civilisations qu’on veut nous faire croire. Avec ces fresques nous mettons en avant les richesses culturelles, pas les difficultés à cohabiter. Ourcq Living Colors c’est un acte militant du vivre ensemble ! Sur quoi as-tu peint de plus original ? Il y a des totems ici sur le parking du 6B, sortes de mini tours de Babel aux facettes multiples. A l’intérieur, ce sont des tourets de cables qui servent d’armature. J’ai également peint sur des voitures, des camionettes, des camions, des trains, sur un château d’eau, des façades d’immeubles industriels, des cuisines de designers, des fringues, des culottes, des chaussures, des bouteilles ou sur des corps. Comment as-tu vécu le passage de ton travail de rue à la toile ? C’était une forme de désapprentissage, le propre de la création et des êtres humains finalement. Il m’a fallu apprendre à appréhender une surface vierge et réduite, tout le contraire d’un mur. J’arrive à maturité dans cet exercice et c’est appréciable, mais il m’aura fallu un certain temps et passer par de nombreux stades. Par le passé, je tartinais, j’essayais d’apporter sur toile la matière qu’on pouvait trouver dans la rue. La phase de création s’est ensuite épurée, les couches internes de mes tableaux également. Tout ce travail a finalement créé des passerelles entre l’atelier et la rue, l’un enrichit l’autre aujourd’hui. Tu exposes en mars au Loft du 34 avec Marko 93. A quand remonte ta rencontre avec lui ? Nous nous sommes rencontrés sur Ourcq il y a plus de cinq ans. La même année nous avons pris un atelier ensemble au 6B, à Saint Denis, la ville de Marko. Nous nous sommes tout de suite entendus, humainement et artistiquement. Avec Marko, nous sommes de la même génération et partageons le fait de vivre sur un territoire cosmopolite. Qu’avez-vous déjà peint ensemble ? En extérieur, sur l’ancien bâtiment des douanes à Pantin, une fresque à La Villette, sur le Wip, et différents endroits dans la rue. Qu’est-ce qui vous rejoint dans la création ? Nous avons des aspirations communes que nous ne retranscrivons pas de la même manière, dans nos travaux respectifs. En portant un regard rapide sur ce que nous faisons, les animaux ressortent vite. Ce sera le thème de notre expo commune au Loft du 34 en mars. Peux-tu nous en dire un peu plus ? Je suis ravi de faire une expo avec l’énergumène qu’on entend rire juste à côté ! Sur le marché de l’art nous sommes par ailleurs à un stade comparable. Dans nos démarches et nos parcours également. Nous avons beaucoup de choses nouvelles à dire et notre discours s’affinera au cours des toiles que nous produisons actuellement, consacrées aux animaux. Peindre des animaux est pour toi un simple exercice de style ou c’est plus que cela ? Ce n’est pas qu’un simple exercice. Nous avons en commun avec Marko 93 l’amour des animaux mais également l’envie de les représenter pour parler des humains et aux humains. Nous avons tous deux les mêmes outils mais pas les mêmes animaux en tête, ni les mêmes messages. Nous abordons différentes symboliques, nous sommes complémentaires. Les artistes de street-art ont réagi massivement après les attentats de janvier. Quelle a été ta contribution ? Entre l’attentat de Charlie et celui de l’Hyper Cacher, j’ai collé des affiches dans Paris, dont de grandes, de 3 mètres par 3, dans le 19ème arrondissement. Je voulais un support assez neutre pour privilégier le message. J’ai dessiné un masque noir, la couleur du deuil, dans lequel j’ai incrusté 3 signes religieux. Ce que ça disait : il ne s’agit pas d’une cohabitation, nous sommes déjà ensemble ! Propos recueillis par Ludovic Bourreau A découvrir sur Artistik Rezo : [Credit Photos : ©Guillaume Saintives] |
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