Akiza : « Treize ans de folie furieuse ! »
Akiza : La Galerie Ouvert tous les jours de 14h30 à 20h sauf le mercredi 3, rue Tholozé FB – AKIZA.pageofficielle |
Rencontre avec Robinson, créateur d’Akiza, dont la silhouette noire hante les rues… Comment est née Akiza ? C’est le résultat de plusieurs chemins qui se sont croisés. L’œil et le savoir-faire que j’avais développé en calligraphie et en typographie. Ensuite un voyage au Japon qui a pu avoir son influence – mais moins que certains ne le croient. Et enfin la découverte d’un milieu rock, fétichiste, gothique, qui était en moi par la peinture et la littérature, mais que je fréquentais désormais en soirée. Les premières années d’Akiza ont vraiment été le journal de bord de cette exploration. De quand date la première ? Elle a été imprimée en 2003 dans un fanzine à Lille, pour le collectif graphique « Sortez la chienne ». À l’époque, j’étais graphiste. On m’avait demandé des illustrations, ce que je pensais ne pas savoir faire. Je venais d’acheter un appareil photo numérique et j’ai bricolé des personnages avec des bouts de photographie aplatis en noir et blanc. Est apparue alors cette poupée un peu enfantine et obscène qui allait devenir Akiza. Quelques semaines après, j’en ai fait une autre version avec un autre corps. Au début, c’était un petit à côté de mon travail puis c’est devenu l’essentiel de mon temps et de celui de ma chérie, Yoshii, qui m’a rejoint un an et demi après. Il y a des projets qu’on commence en les croyant anecdotiques et qui bouleversent notre vie, comme des choses qu’on croyait importantes et qui finalement ne le sont pas. Un peu comme un premier baiser, on ne sait jamais si l’histoire va durer un quart d’heure ou dix ans ! Comment s’est-elle imposée sur le long terme ? J’ai vu qu’elle plaisait à beaucoup de gens aux goûts très différents. Pourtant, j’avais avant tout cherché à me faire plaisir ! Akiza n’est pas le résultat d’une étude de marché, je n’ai pas voulu plaire. Même dans mon adolescence, j’ai toujours été un peu en dehors des clous, des musiques à écouter ou des vêtements qu’il fallait porter. Je n’étais pas le garçon à la mode… et finalement je me retrouve l’auteur d’un projet pointu à la croisé des tendances graphiques et artistiques. Pourquoi cette forme de minimalisme dans le dessin ? J’ai utilisé ce que je savais faire. Je ne suis pas fort en couleur, je l’ai mise de côté. Ca ne me passionne pas de dessiner les visages, je m’en suis tenu au même depuis douze ans. La perspective m’intéresse moins que l’impact graphique d’une image, je l’ai évacuée. J’équilibre (ou déséquilibre) délicatesse et force, complexité et sobriété sur chaque reflet d’Akiza. La calligraphie est encore très présente, non ? C’est de là que tout vient : l’étude des rythmes, des ruptures et continuités de forme. Akiza est proche d’une lettre. Je continue à donner des cours de calligraphie depuis 10 ans pour rester connecté à la plume et à l’encre. Et si, pour citer Ingres, le dessin est la probité de l’art, Akiza tire la sienne de la calligraphie et la calligraphie. Plutôt la typographie d’ailleurs. Il y a volontairement très peu, voir aucun mouvement dans son univers. Elle doit aussi beaucoup à l’imaginaire industriel… Oui, j’aime beaucoup l’esthétique rétro-industrielle, puisque la nouvelle industrie n’est plus forcément très jolie. Je rejoins les amateurs d’urbex et d’usines anciennes. J’adore les pylônes, les réverbères, les câbles, les vieux panneaux de signalisation… Dans le ciel des gares, il y a toujours beaucoup de choses suspendues sans qu’on sache à quoi elles correspondent, je trouve ça assez magique. Je veux arriver à représenter des résilles et des scènes érotiques avec ces objets, et mélanger esthétique industrielle et fétichisme. Cette silhouette, tu la déclines… Certains dessins sont des clins d’œil à des univers d’autres artistes, ou des portraits. Par exemple celui d’Amélie Nothomb, qui a quelques unes de nos œuvres chez elle, et qui nous avait fait le plaisir de donner une interview pour Arte dans une exposition Akiza puis, il y a peu, dans notre galerie. Mais je suis prudent avec ce genre d’hommages, je ne veux pas tomber dans la tarte à la crème de la citation pop. Je pourrais être tenté de faire le portrait d’artistes proche de mon univers. Mais pour que je me donne le droit de faire le portrait d’une personne, il faut que je la connaisse. Si je bois un thé avec David Lynch ou Asia Argento, on verra ! (Rires). Pourquoi avoir commencé à la coller dans la rue ? C’était une façon de rendre à la rue ce que j’y avais pris. Croiser quelqu’un dans la rue avec un t-shirt à moi, c’est presque déjà du street art… Mais je l’avoue, il y avait aussi de l’opportunisme. C’était vraiment le mouvement à la mode. Les galeristes, les collectionneurs, les médias : tout le monde n’en avait que pour le Street Art… J’ai mis quelques années à franchir le cap de l’interdit. Je l’ai pris un peu comme une corvée au début. Je me suis fais violence, et j’ai adoré ! Le coup de foudre a été immédiat, et il dure. C’est devenu une obsession en quelques années, je ne peux marcher dans la rue ou regarder par la fenêtre d’un train sans imaginer ce que pourrai faire sur chaque mur que je croise. C’est formidable et un peu épuisant psychologiquement. Pourquoi ? J’adore le rythme que ça impose, cette rapidité liée au fait de pouvoir se faire surprendre – dans le bon ou le mauvais sens, par des compliments ou la police. C’est un univers très vivant, avec beaucoup de passionnés. C’est très enthousiasmant de croiser les autres artistes en dehors des galeries. Dans la rue, j’ai tout de suite cherché les endroits qui me plaisaient, mais qui n’étaient pas forcément évidents, comme les recoins de corniche, les petites plaques émaillées… Au début je choisissais les endroits bien lisses, maintenant je cherche vraiment les accidents de surface, les décrochements, les rythmes des enduits. Du coup, cela m’a vraiment appris à aimer la matière, qui n’était pas forcément un des éléments constitutifs d’Akiza. Et j’utilise une technique de pochoir unique à la bombe qui m’est propre… je dois être le seul artiste à travailler à la pince à épiler la nuit dans la rue. Peux-tu me décrire ta technique, très minutieuse ? J’utilise une base photographique, du croquis, et du dessin vectoriel sur ordinateur. Je passe, des heures, des journées, des nuits à assembler, retourner, détourner, composer, décomposer chaque version d’Akiza. Ensuite, je tire mes motifs au traceur numérique sur larges bandes de papier, les fixe sur le mur avec de la colle en bombe, puis découpe directement à la main au scalpel in situ, j’enlève les morceaux qui ne doivent pas rester, je bombe le dessin, puis je retire les dernières parties… Ça c’est quand j’ai le temps, beaucoup de temps… Pour rester rapide, j’utilise aussi un plotter industriel pour découper mes Akiza. Ce sont toujours des pochoir à usage unique qui sont détruits dans le processus de peinture. J’aime pousser les techniques à leur point d’absurdité. La machine est un intermédiaire entre Akiza et moi. Comme c’est un être qui tient de la machine, une sorte de poupée robot, je trouve intéressant que ce soit une machine qui tienne le crayon à certains moments… Quel rôle joue Yoshii, qui t’as rejoint très tôt dans l’aventure ? Je m’occupe de la partie purement dessin, mais nous faisons tous les choix à deux. Si on n’avait pas été ensemble, je n’aurais pas forcément continué. Notre couple a donné vie à Akiza, et Akiza a cimenté notre couple. Dès le début, Yoshii a pris beaucoup de choses en charge. Au début et durant plusieurs années, lorsque nous imprimions nos t-shirts en flex, elle échenillait chaque dessin pour chaque t-shirt. Je te laisse imaginer le travail immense que ça représentait, surtout avec mes dessins… Elle démarchait les galeries pour les expositions, les boutiques pour les t-shirts, et s’occupait d’une grosse partie de la communication. In situ, nous faisons souvent les grandes fresques à deux. Depuis l’ouverture de notre galerie, toujours au cœur de la communication, elle est aussi la directrice artistique principale des expositions et met en place scénographies et accrochages. Mais nos rôles sont vraiment complémentaires et souvent entremêlés. On ne peut pas détailler exactement ce que fait chacun, car le travail est énorme. Si nous avions les moyens, nous pourrions employer quatre ou cinq personnes de plus ! Pourquoi avoir ouvert une galerie ? On avait envie d’un lieu qui soit le nôtre. Pour arriver à faire connaître des artistes et des mouvements qui nous tenaient à cœur, et nous donner une chance supplémentaire de vivre de notre art. Ça c’est fait aux Abbesses, au 3, de la rue Tholozé, en face du plus ancien cinéma d’art et d’essais de Paris, le Studio 28. C’est formidable de concevoir et monter des expositions et de travailler avec des artistes de tous les coins du monde. Et… je peux poser un petit coup de tampon Akiza au dos des œuvres vendues, c’est une forme de street art – peindre sur toutes les œuvres des autres ! (rire) C’est une superbe aventure de tenir une galerie alternative, même si c’est aussi épuisant et affreusement difficile… Akiza est au carrefour d’une part de la scène art rock, gothique, fétichiste d’une part, du graphisme de propagande et du mouvement street art de l’autre. On expose plutôt ce qui s’en rapproche dans l’esprit, nos coups de coeurs. Nous aimons avoir aussi des objets accessibles à toutes les bourses dans la galerie, comme des t-shirts, mais toujours en éditions très limitées et numérotées, avec nos créations ou avec les dessins d’artistes invités. Le prochain t-shirt Akiza qui sortira en juillet sera le 114ème de notre collection ! Tu as déjà eu peur de te lasser d’Akiza ? La répétition ne me dérange pas. Akiza est tellement multiple, plastique, que je la réinvente sans cesse ! Akiza se complexifie, évolue. J’ai l’impression de changer sans arrêt les règles du jeu. Je suis un fan de space invader – rien de plus répétitif ! Mais bien sûr, il y a toujours des moments de doute, ceux où on se demande si les gens qui vous ont encouragé à vos débuts n’auraient pas mieux fait de s’abstenir… Akiza, c’est pour nous douze ans de folie furieuse, jour et nuit ! Sophie Pujas |
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